N° 1142 | Le 29 mai 2014 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Dans le concert des discours prenant fait et cause pour les parents trop souvent négligés et méprisés par les services de protection de l’enfance, voilà une voix discordante qui est la bienvenue. Certes, on pourra reprocher à Pierre Lassus quelques outrances, comme celle prétendant que les humains exercent majoritairement et généralement la parentalité de manière inadéquate ou encore que tout se jouerait, pour l’avenir du petit d’homme, dans la première année, « et sans doute bien avant ». Mais cette démesure un peu baroque ne doit pas détourner du propos principal de l’auteur : la place qui est faite aujourd’hui aux familles d’enfants maltraités s’établit au détriment de la protection due à leurs enfants. À force de vouloir, à n’importe quel prix, développer et accompagner les compétences parentales, on en vient à recouvrir la pathologie de certains parents du voile du déni et de l’aveuglement.
L’auteur prend soin de distinguer deux situations. Il y a d’un côté la dysparentalité de gravité variable. Ce sont ces parents maladroits, incompétents ou pas toujours capables, qui en font trop ou pas assez, interviennent à contretemps, blessent, délaissent, sont trop proches ou trop distants. Ils ne veulent pas forcément détruire leur progéniture, même si leur intervention ou leur absence d’intervention peut avoir des conséquences graves. De l’autre côté, on trouve les systèmes pseudo-familiaux destructeurs dans lesquels les parents, s’ils acceptent d’être géniteurs, ne peuvent ou ne veulent pas exercer leur parentalité.
Dans le premier cas, il convient d’évaluer le degré de dysfonctionnement, et d’apporter une aide en essayant de mesurer tant les carences que les éléments positifs présents chez les familles concernées. Dans le second cas, l’urgence n’est pas d’identifier la cause et la genèse archaïques des pulsions amenant des adultes à détruire physiquement ou psychiquement leur enfant, mais de mettre celui-ci à l’abri de cette menace d’anéantissement, en l’aidant à faire le deuil de ces adultes nuisibles. Et Pierre Lassus de s’en prendre à la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, qui réduit les familles maltraitantes à une somme de difficultés susceptibles d’être solutionnées par un accompagnement idoine et la nécessité absolue de maintenir les relations, aussi toxiques soient-elles.
L’auteur relie cette législation à une pesanteur culturelle qu’il décline depuis l’Ancien testament jusqu’à la psychanalyse, accusés tour à tour d’avoir toujours privilégié les géniteurs contre leurs enfants. Le cinquième commandement reçu par Moïse n’exige-t-il pas que les enfants honorent leurs parents, sans aucune réciprocité de ceux-ci ? Quant au complexe d’Œdipe, ne fait-il pas d’un enfant un coupable, en exonérant le crime de son père ? Ce livre, en nous proposant un pas de côté iconoclaste, vivifiant et provocateur, ne peut que nous inciter à réfléchir.
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