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C’est au cours de sa formation que François Durand, éducateur spécialisé de son état, a entendu pour la première cette expression, « passage à l’acte ». Il ne comprenait pas bien ce que cela voulait dire et ce d’autant plus que l’expression susnommée n’était employée bien souvent que dans les cas où l’acte était « déviant » pour employer un autre terme que les éducateurs et trices aiment bien utiliser. François n’entendait jamais dire à propos d’un enfant qui prenait par exemple une feuille de papier et des crayons de couleurs pour faire un dessin qu’il « passait à l’acte ». L’acte dans le cas du passage ne se justifiait que dans la mesure où le même enfant, ou un autre, adoptait un « comportement inadapté » pour encore utiliser une autre formule à l’emporte-pièce qui sied aux éducateurs/trices. Mais là n’est pas le sujet des « formules à la pousse toi de là que je m’y mette ». Pour cela un billet n’y suffirait pas.
Avec le temps et un peu de formation l’éducateur a fini par comprendre que derrière ce fameux passage à l’acte se cachait une certaine difficulté à accéder au symbolique, à mettre en mots, à mettre des mots et qu’effectivement, il s’agissait surtout d’un acte qui venait faire effraction dans ce que nous pourrions appeler les convenances sociales. Pour faire simple, un acte violent prenant naissance dans une incapacité à expliciter, à interpréter le monde qui nous entoure et ainsi le faire voler en éclat.
Et, ne voilà ti pas, après 20 ans de pratique, que l’acte refait surface dans son quotidien. François le voyait venir depuis un bon bout de temps mais là, cela prend véritablement corps. Chaque fin de semaine, ses collègues et lui doivent rentrer sur un tableau Excell le nombre d’actes effectués. La cheffe de service le répète régulièrement « N’oubliez pas de noter les actes ». Ainsi, François Durand coche des croix dans des cases et en bout de course cela donne des chiffres. C’est quasi magique. Croix dans cases = chiffres. Au passage, il regarde le nombre effectué par les autres. Il ne voudrait pas être à la traîne, qu’on le prenne pour un tire-au-flanc. Par ailleurs, outre le fait qu’il n’existe pas de cases « Sourire » ou « Trait d’humour » ou encore « Colère et exaspération » le financement par l’acte oblige à faire de l’acte, de l’acte et encore de l’acte. François voit bien arriver le jour où leur sera expliqué que tel acte ne mérite pas financement. Ainsi, la standardisation des pratiques se met lentement mais sûrement en marche et avec, par ricochet, la standardisation de l’Humain.
Mais pour l’heure, François et l’ensemble de ses collègues, mécaniquement, cochent leurs cases et le pire c’est que ça marche. Les éducateurs/trices, froidement, implacablement, techniquement, participent à la mise en œuvre de cette effroyable machine sans âme. Ils et elles n’ont plus besoin des mots pour expliquer leur monde et leurs pratiques et François se demande s’ils et elles ne les ont jamais eus tant il a été facile de leur imposer cette technicité à la violence sourde mais néanmoins dévastatrice. Plus besoin, voire, plus possible de faire un dessin, définitivement, les éducateurs/trices viennent de passer à l’acte.