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9 mai 2022

🎥 CINÉ • Fragilité explosive

Nitram

Un film de Justin Kurzel - 1 h 52.

Avec Caleb Landry-Jones (Nitram), Judy Davis (la mère), Anthony Lapaglia (le père), Essie Davis (Helen), Phoebe Taylor (Riley)… Prix d’interprétation masculine au festival de Cannes pour Caleb Landry-Jones.

Sortie 11 mai

Fabrication d’un criminel de masse. L’itinéraire glaçant d’un jeune homme, qu’on pourrait croire seulement un peu limité, parcours fait d’enfance solitaire, de frustrations diverses et, aussi d’incompréhension parentale.

Nitram, phonétiquement, ça pète. Le surnom (Martin, à l’envers) colle comme un gant à ce grand adolescent qui n’aime rien tant que faire exploser des fusées, des mèches de tout acabit, des pétards, des feux d’artifice. Jusqu’à se mettre le quartier à dos, jusqu’à se retrouver à l’hôpital et y subir jusqu’à trois greffes de peau, mais qu’importe ?

Intranquillité

Perturbé, mais pas trop. Asocial, mais pas dangereux, croit-on. Martin propose ses services aux voisins comme jardinier. Il traîne devant les écoles pour jouer aux pétards avec les enfants, jusqu’à ce que le directeur vienne l’engueuler, mais son père viendra le chercher, et basta. Le médecin de famille lui administre des antidépresseurs — que son patient prend aléatoirement —, mais, probablement dépassé, l’oriente mollement vers un psy et ordonne de quoi « stabiliser l’humeur ». Mais la mère ne veut pas perdre l’allocation qu’elle perçoit pour le handicap de son fils…

Parents largués

Son père, auquel Martin est réellement attaché, ne parle pas. Dans les moments de crise, il l’emmène faire silencieusement un tour en voiture dans les immensités australiennes ; il se tait devant sa femme, se tait devant son fils. Cependant, il l’aime suffisamment pour développer un projet immobilier avec lui. La mère est plus brutale, peut-être plus perturbée : « je serai ravie d’être débarrassée de toi », lui crache-t-elle le jour où il décide de partir, en précisant au mari « il n’y a que nous qui puissions le supporter »

Couple improbable

Avec une excentrique héritière dont il sera le jardinier, Nitram vit une relation éthérée, foldingue, marginale. La mère de Martin ne supporte pas leur différence d’âge : « Il fait office de mari, ou de fils ? ». Et c’est lorsque le malheur arrive, sous forme de décès d’êtres chers, que la somme des frustrations vécues, des relations incomplètes, de l’impuissance à tout niveau se traduit peu à peu en explosion. Le 28 avril 1996, le massacre de Port-Arthur — 35 morts et 37 blessés — bouleverse l’Australie.

Anti armes à feu

Une fois prise la décision de son passage à l’acte, Nitram se procure, sans permis et avec une aisance déconcertante, les armes les plus destructrices. L’événement occasionnera de fait une révision de la législation en vigueur. Le réalisateur ne cache pas son intention de dénonciation. La scène où Martin, dont on ne perçoit que trop rapidement la fragilité, achète ses premières armes à feu est glaçante…

Repérer, prévenir

Comment un jeune homme, considéré comme légèrement handicapé et juste un peu marginal, a-t-il pu mettre en actes une tuerie aussi féroce ? Assez finement, le film donne quelques clés. Les manques — relationnels, existentiels —, les mensonges parfois dans lesquels il s’enferre (s’inventant par exemple une copine rêvée, alors qu’il est vierge), les angoisses auxquelles rien ni personne ne répond font, et c’est dérangeant, bel et bien partie de la construction du personnage.

Joël Plantet