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🎥 CINĂ âą Splendeur et faiblesses de lâĂ©ducateur
La Mif - Un film de Fred Baillif. 1 h 50.
Avec Claudia Grob, Anaïs Uldry, Kassia da Costa, Amélie Tonsi, Amandine Golay, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy, Sarah Tulu.
Sortie en salles 9 mars 2022
ProtĂ©ger de jeunes mineur.e.s victimes de violences familiales requiert un doigtĂ© certain, et lâĂ©ducateur devenu cinĂ©aste le dĂ©montre avec finesse et brio. En mĂȘme temps, lâex-travailleur social souligne — cruellement — les limites du mĂ©tier. Le film nâen est que plus nĂ©cessaire.
Un foyer Ă©ducatif, mixte. Une bagarre explose, violente, entre filles, et les mots crus —« reine des putes ! », « jâmâen bats les couilles ! » et autres gracieusetĂ©s — volent bas. Frappe alors le calme des Ă©ducateurs rĂ©fĂ©rents du foyer, leurs paroles justes, leur respect des jeunes. Les professionnels rĂ©ussiront Ă calmer le jeu, Ă reparler des transgressions avec les jeunes filles concernĂ©es, puis Ă tenir des rĂ©unions dâĂ©quipe oĂč sont analysĂ©s les faits et les rĂ©ponses. Le lieu est gĂ©rĂ© par Lora, une directrice expĂ©rimentĂ©e (rĂŽle tenu par une vraie responsable de foyer Ă©ducatif), douce et ferme, Ă lâĂ©coute des Ă©motions de chacun. Au sujet des rĂšgles du vivre-ensemble auxquelles doivent se plier les jeunes — Ă lâhistoire si chaotique, si abusĂ©e —, elle aime Ă rappeler que « fragile, câest pas dĂ©bile ». Ici, la crĂ©ativitĂ© prend tout son sens, et un travailleur social devient volontiers marionnettiste pour transmettre aux jeunes certains messages, via son thĂ©Ăątre de lâabsurde. Des traditions ou rituels marquent lâhistoire de lâendroit : ainsi, lorsquâun ou une jeune quitte lâinstitution, câest la directrice qui change les draps et prĂ©pare la chambre.
Le sexe, omniprésent
Trop idyllique ?
Probablement. Une toute jeune Ă©duc interrompt un soir une scĂšne de sexe entre une jeune fille de 17 ans et un garçon de 14 ans, et appelle la police. Drame institutionnel : la rĂ©putation de la fondation gĂ©rant le foyer est en jeu, la premiĂšre ayant atteint la majoritĂ© sexuelle alors que le garçon, non. Lora est fortement mise en cause par ses tutelles et le foyer cessera immĂ©diatement dâĂȘtre mixte. LâĂ©quipe, gĂȘnĂ©e aux entournures, sâinterroge.
La vie continue, non mixte, et faite de montagnes russes Ă©motionnelles : aux moments tranquilles, succĂšdent en permanence des Ă©pisodes paroxystiques, et inversement. Mais, sur un mode calme ou cyclonique, le sexe occupe les esprits, les discussions, rĂ©git les relations. Et lâĂ©quipe, vaille que vaille, tente de gĂ©rer.
LĂ oĂč le bĂąt blesse
La Mif, ici, câest la famille en verlan. Les filles se sentent en confiance, certes protĂ©gĂ©es et respectĂ©es, mais savent aussi, dans les (nombreux) conflits, trouver des mots durs pour dĂ©noncer les ambigĂŒitĂ©s de la position du travailleur social, accusĂ© entre autres de lĂąchetĂ©, principalement devant les questions de sexualitĂ© : « vous nous voulez du bien, mais en fait vous ĂȘtes tous des manipulateurs ! ».
Regard double
In fine, lâinstitution ne protĂšge pas autant quâelle le croit. « Je remets en question le travail des travailleurs sociaux et le concept mĂȘme de la distance professionnelle », reconnaĂźt clairement le rĂ©alisateur dans une interview. Il nâempĂȘche : le film — principalement interprĂ©tĂ© par des non-professionnels jouant leur propre rĂŽle et fruit de deux annĂ©es dâentretiens prĂ©paratoires et dâateliers — sonne Ă©tonnamment juste. MĂȘme sâil nous dĂ©range en dĂ©peignant lâenfermement vertueux dâun foyer Ă©ducatif. Et le potentiel de ces filles, Audrey, Novinha, PrĂ©cieuse, Justine, Alison, Caroline et les autres, Ă©clate comme une Ă©vidence.
Joël Plantet
Photographies : ©SteÌphane Gros / LumieÌre Noire