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🎥 CINÉ ‱ Surplus de seniors

Dans une dystopie par trop vraisemblable, les plus de 75 ans sont chaleureusement encouragĂ©s par le pouvoir en place Ă  disparaĂźtre ; mais pour cela, ils seront trĂšs bien accompagnĂ©s



Nul ne peut plus l’ignorer, le vieillissement de la population s’accĂ©lĂšre. Devant le lourd fardeau et la charge finalement inutile que reprĂ©sentent les vieux (en l’occurrence 75 ans et plus), le gouvernement du Japon, dans un futur si proche, dĂ©gaine un « Plan 75 » les autorisant — les encourageant vivement, de fait — Ă  disparaĂźtre. Pour ce faire, sont proposĂ©s un accompagnement chaleureux et personnalisĂ©, une allocation financiĂšre appĂ©tissante pour les derniers jours, et de sĂ©duisantes formules (dont la Platinium) pour une euthanasie plus Ă©lĂ©gante.



Trio mortel

Dans ce contexte souriant, un jeune recruteur du gouvernement, Hiromu, une candidate au plan 75, Michi, et une jeune aide-soignante philippine, Maria, vont croiser leurs improbables destinĂ©es. Leur rencontre est glaçante et passionnante. Si la volontĂ© systĂ©mique est bien d’éliminer les improductifs, vont alors se dresser des atomes d’humanitĂ© comme autant de grains de sable dans des rouages trop bien huilĂ©s.



La loi du marché

UltralibĂ©ralisme : en raison de l’insuffisance du rĂ©gime de retraite, on rencontre (actuellement, pas dans la dystopie) Ă  Tokyo — et ailleurs dans le monde aussi — des personnes trĂšs ĂągĂ©es dans l’obligation de travailler, par exemple ramasser des mĂ©gots dans la rue ou surveiller des parkings. Dans La Ballade de Narayama, l’excellent film de Imamura (1983), les vieux parents sont accompagnĂ©s dans la montagne pour y mourir, les solidaritĂ©s familiales Ă©tant dĂ©jĂ  en voie de disparition. Ici, dans cette version moderne, l’État, obligeant, les pousse vigoureusement vers l’euthanasie.



Accompagnement social perverti

La violence revĂȘt ici un visage aimable. Tous les fonctionnaires du Plan 75 sont polis, courtois, attentionnĂ©s. Dans un cadre strictement rĂ©glementĂ© — aucune rencontre dans la vraie vie, appels tĂ©lĂ©phoniques limitĂ©s Ă  15 minutes, conseils doucereux (« adaptez-vous Ă  leurs Ă©tats d’ñme ») mais dissuasion active en cas de changement d’avis
 —, des relations, parfois impossibles car trop vivantes, se nouent. Allant heureusement jusqu’à dĂ©ranger ce bel ordonnancement.



Grand nettoyage

À l’étĂ© 2016, un jeune employĂ© de 26 ans avait assassinĂ© 19 personnes dans un Ă©tablissement pour personnes handicapĂ©es dans une ville du Japon, expliquant avoir agi pour le bien de la sociĂ©tĂ© en Ă©liminant des inutiles. BouleversĂ©e par cette tragĂ©die, la cinĂ©aste y a vu l’annonce d’une Ă©conomie de plus en plus triomphante choisissant, dans une apathie gĂ©nĂ©rale et en toute logique libĂ©rale, de se dĂ©barrasser des vieux, des personnes handicapĂ©es, et pourquoi pas des pauvres et des migrants. Et ce terrible « accompagnement » proposĂ© pourrait prĂ©figurer les contours d’un travail social dĂ©voyĂ©.

Joël Plantet



Plan 75
Un film de Chie Hayakawa. 112 mn.


Avec Chieko Baisho (Michi), Hayato Isomura (HIromu), Stefanie Arianne (Maria).
Sortie 7 septembre 2022.