N° 1347 | Le 12 octobre 2023 | Critiques de livres (accès libre)
Alors on danse !
Journaliste, François-Xavier Ménage a traversé la France pour enquêter sur notre désarroi face à une société en pleine mutation. Ce choix conduit à un instantané d’un pays au bord de l’implosion. Un peu flippant.
Ce livre est un peu un entre deux. Il n’a pas valeur sociologique car l’auteur parcourt le pays avec son micro pour recueillir des témoignages de Français largement fatigués des difficultés qu’ils rencontrent dans la France de 2023. Tous dans l’action, mais tous à la limite de craquer. Cependant, il est plus qu’une suite de petits articles sur « la vie des gens » dans la mesure où la photographie de notre société semble refléter une réalité.
Chacun s’y retrouvera et c’est bien cela qui est inquiétant. Il y a ces femmes, en Moselle, qui participent à un atelier couture et qui causent presque en riant du prix des endives bio, totalement inaccessibles, du PQ qui a pris 10 % avec dix feuilles de moins, des mensonges des magasins.
Chercher le toubib
Il y a le maire de Pleucadeuc (Morbihan) qui embauche un détective privé pour dénicher un toubib, pour éviter la désertification de son village. Et ces patients, pourtant peu fortunés, prêts à payer de leur poche plutôt que de n’être pas soignés. Il y a cette éducatrice de Valenciennes qui accompagne un gamin qui « ne doit pas retourner dans sa famille » mais qui n’a aucune solution d’hébergement, cette infirmière scolaire du 93 qui ne trouve pas de psy pour un élève suicidaire. Il y a Ely et Pauline, étudiantes à Paris qui ont 70 euros chacune par mois pour se nourrir et qui malgré leur boulot de caissières le week-end peinent à payer leur loyer. On croise ces habitants des barres HLM des années 70, ces immeubles qui devaient durer 20 ans et qui, encore là, tombent en ruines mais dont le loyer ne baisse pas.
Il y a cette insécurité du quotidien, liée à l’augmentation de la pauvreté comme ces ouvriers du bâtiment de Vannes qui ne peuvent plus laisser le matériel sur le chantier car il est systématiquement volé par un voisin ou un entrepreneur concurrent. Il y a ces milliers de Français qui se sont laissés abuser par les millions de faux SMS émanant d’une préfecture imaginaire ou d’une banque inexistante, qui ont perdu leurs économies et vivent depuis dans la précarité. Toujours renouvelées sur internet, ces magouilles en rajoutent une couche au sentiment d’insécurité ambiant, à la sensation d’être une marionnette dans un monde trop complexe.
Impuissance générale
Il y a cette impuissance des autorités à lutter contre ces centaines de nouvelles drogues qui se répandent dans tous les milieux et dont on ne sait pas grand-chose mais qui foutent une trouille terrible à tous les parents. Il y a cette directrice d’école, face à une montagne de démarches administratives juste pour surélever les verrous des portes de son école pour éviter les sorties intempestives de élèves. Il y a cette agricultrice qui n’en peut plus et qui à sa caisse de retraite apprend qu’elle doit travailler dans son élevage, encore trois ans.
Alors bien sûr, partout, les gens apprennent à se débrouiller et, parfois, la solidarité prend la place de l’État, mais la fatigue semble à la limite du craquage. On ressent à la lecture de cet ouvrage un grand sentiment d’impuissance générale contre un monde qui va plus vite que nous ne pouvons le comprendre. On ressent très fort cette fameuse mutation technologique, morale, géopolitique, écologique, informatique. On a aussi le sentiment que beaucoup de nos concitoyens ne croient pas que le politique résoudra leurs difficultés et atténuera leur peur du lendemain pour eux ou leurs enfants. L’auteur ne commente pas les entretiens, il nous laisse là, avec la matière brute. Je l’ai dit c’est une photographie forcément partielle de notre pays mais bigrement inquiétante.
Étienne Liebig
L’auteur
Grand reporter à TF1 après être passé par BFM-TV, M6 et LCI, François-Xavier Ménage aime tous les terrains, même s’il est un habitué des zones de guerres et autres catastrophes. Pour ce quadragénaire, « la France n’est pas un enfer, mais un purgatoire ».
©Adelaïde Yvert/Robert Laffont
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