N° 698 | Le 26 février 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Ces enfants malades de leurs parents
Anne Ancelin Schütezenberger & Ghislain Devroede
Tous les enfants sont en résonance avec leurs parents… pour le meilleur et pour le pire. Les problèmes familiaux non résolus, les blessures non verbalisées, les secrets que l’on croit bien à tort hermétiquement cachés, sont autant de sources de difficultés pour les nouvelles générations. Cela est vrai dans des situations dramatiques comme les guerres, la maladie ou la mort de proches pour lesquels le deuil n’a pas été accompli, les carences affectives graves ou les séparations brutales. Mais, et cela, les travailleurs sociaux le vérifient au quotidien, cela se passe bien plus couramment encore : les enfants sont comme des éponges, absorbant tout ce qui vient de leur environnement et exprimant au travers de leur corps les souffrances, angoisses et mal-être des adultes qui les entourent. Là où l’esprit peut tenter, et parfois réussir à s’échapper, l’organisme, lui, ne ment pas.
L’inconscient a bonne mémoire et sait inscrire physiquement les traumatismes qui n’ont pu être parlés, digérés et métabolisés. Des enfants peuvent apprendre à avoir mal au ventre, à être constipés, à avoir de la diarrhée, en tentant d’imiter ce qui fait souffrir leurs parents. Mais peut-on aller jusqu’à parler de transmission intergénérationnelle, le corps de l’enfant, du petit-enfant ou de l’arrière-petit-enfant devenant alors le langage de l’ancêtre blessé, le porte-parole des meurtrissures qui l’ont atteint ?
C’est en tout cas l’hypothèse des auteurs. Il est vrai que certaines coïncidences sont troublantes comme cette femme qui fait un malaise, la rendant provisoirement muette, dix ans, jour pour jour, après l’attaque cérébrale qui avait terrassé son père ou encore cet homme dont l’ancêtre avait été guillotiné et qui décédera… d’un cancer du cou ! Il serait bien prétentieux de n’y voir que le fruit du hasard, tout autant que téméraire de prétendre ex cathedra qu’il y a là un rapport linéaire de cause à effet.
Établir, à ce propos, une hypothèse scientifique, signifierait passer par deux types d’expérimentations. Soit, identifier une cohorte de femmes ayant subi un abus sexuel et surtout ne pas les aider, afin d’étudier les effets produits sur leur descendance. Soit, repérer des enfants souffrant de troubles digestifs et établir dans quelle proportion leurs parents ont été abusés sexuellement. Impossible et proprement inacceptable, dans un cas comme dans l’autre. Restent ces anecdotes troublantes dont l’ouvrage, présenté ici, fourmille. Les loyautés familiales invisibles, expliquent les auteurs, amèneraient, par exemple, à une fragilisation susceptible de provoquer de véritables syndromes d’anniversaire, le sujet répétant les mêmes symptômes de son parent au même âge ou de la transmission des non-dits, sous forme de somatisation. Questionnements qui pour être avancés avec prudence ne le sont pas moins avec conviction.
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