N° 804 | Le 6 juillet 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le désarroi des parents grandit face à des enfants qui résistent à se laisser éduquer : les attitudes telles la désobéissance, l’effronterie, l’insolence ou la colère se font de plus en plus fréquentes. On en vient parfois à regretter certaines méthodes du passé qui avaient fait leur preuve. Si une majorité d’enfants refuse ainsi l’autorité des adultes, c’est parce qu’elle y est poussée par le système éducatif et non par un quelconque esprit de contradiction.
À l’origine de cette situation, plusieurs facteurs. Il y a d’abord la modification du statut de l’enfant liée à la disparition des repères sédimentés par les traditions et le temps : il n’est plus destiné à prendre le relais des adultes dans une continuité douce et cohérente, mais à apporter un enseignement à ses aînés. Il y a ensuite ce refus des parents à être à la fois celui qui enveloppe, protège et rassure et celui qui interdit, limite et frustre. Le bonheur qu’ils veulent pour leurs enfants cherche à tout prix à éviter toute contrariété et à pourvoir à la satisfaction totale. Il y a encore cette autorité qui s’est détachée de toute nécessité et qui apparaît essentiellement comme arbitraire et que l’on voudrait suppléer par la négociation. On demande à l’enfant d’obéir, mais seulement après qu’il en ait compris l’intérêt et accepté les fondements. Il y a enfin la disparition des transmissions de proximité qui se faisaient traditionnellement par imitation ou contiguïté et qui sont remplacées par la suspicion face à toute hiérarchie qui est critiquée, rejetée, combattue.
Or, traiter un enfant d’emblée comme un être raisonnable ne peut que le plonger dans un profond désarroi : il veut tout, tout de suite, sans conscience de l’autre qu’il n’acquerra que progressivement. Et l’auteur de rappeler l’importance de la perte et de l’incomplétude pour ouvrir à la discontinuité : « seul l’homme construit sous l’égide de la castration est apte à tenir compte du réel » (p.148) Le rôle de l’éducation consiste bien à permettre à l’enfant d’acquérir suffisamment de ressources internes pour lui donner la possibilité de faire face aux déceptions et aux frustrations. Et la matrice à partir de laquelle vont se mettre en place tous les compartiments des comportements et de la relation à l’autre s’acquièrt très tôt. Il en va ainsi de modes d’alimentation.
L’auteur distingue le modèle qui favorise la convivialité, la scansion du temps, le cérémonial à l’offre alimentaire rapide qui privilégie la facilité (peu d’effort de mastication), la disponibilité, le plaisir immédiat, la continuité permanente, la satisfaction de la satiété. Sans hiérarchiser les deux modalités, Denis Vaginay présente la nourriture comme une métaphore du rapport au monde. Les relations entre parents et enfants doivent être dissymétriques, rappelle-t-il, revendiquant que « les enfants prennent le temps d’être petits et les adultes assument l’embarras d’être grands » (p.238).
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