N° 1296 | Le 25 mai 2021 | Par Alexandrine Sanchez, psychologue clinicienne, psychothérapeute familiale, Association AVEF-Seyne sur mer | Espace du lecteur (accès libre)
Le confinement imposé par la Covid-19 a suscité la crainte de la mort ou de la maladie, surtout pour ceux qui sont les plus vulnérables. Les réactions anxieuses voire traumatiques ont encore été aggravées par l’éloignement de l’espoir d’une sortie rapide. Même à distance le lien au psychologue apparaît vital dans une dynamique du paradigme de l’espoir (Yvonne Dolan).
Dans notre association, nous avons décidé de mener des consultations à distance pour les familles déjà suivies et de créer une ligne d’urgence pour les familles de notre commune et de deux autres voisines. Ce lien permanent a permis aux personnes de ne pas se sentir isolées voire abandonnées pendant cette période dès lors que leurs angoisses pouvaient être accueillies et métabolisées afin qu’elles puissent conserver un niveau psychique optimal (Bion).
À l’issue du confinement, les familles sont revenues rapidement consulter sur place. Nous avons organisé des groupes de paroles, en collaboration avec les structures associatives rouvrant au même moment que nous, nous rendant même dans la rue devant les établissements scolaires ne pouvant plus accueillir les parents en raison des conditions d’accueil sanitaires strictes.
Nous avons rajouté des debriefings « à chaud » sur le terrain (aussi appelés defusing). Cette méthode que Louis Crocq nomme : « prise en psychogroupales » permet de prendre en charge les victimes directes ou indirectes de catastrophes, évitant ainsi l’installation de troubles de stress traumatiques dits chroniques par l’atténuation des répercussions psychologiques individuelles et collectives du drame et le renforcement des solidarités propices à l’établissement de certaines formes de résilience.
La collaboration a perduré avec les structures restant ouvertes l’été. En effet, peu de familles partant l’été au pays d’origine, il a fallu réinventer les pratiques et les accueillir sous une autre forme en leur proposant des échanges réguliers formels et informels (repas) pour réinjecter du lien social. C’est une des manières de prévenir des états de stress post-traumatiques ou des états dépressifs sous-jacents créés par des conditions de vie dégradées. L’organisation de repas collectifs fut l’occasion de nouvelles formes d’échanges informels. Ce fut l’occasion pour les participants de mettre en commun les émotions et narrations communes autour du traumatisme afin de favoriser le partage et l’entraide familiale, et ainsi la résilience (Michel Delage). C’est ce qu’on nomme le récit narratif, c’est-à-dire la création d’une histoire commune autour de l’évènement douloureux.
Pour illustrer notre travail, je présenterai la situation d’Afida qui, pendant le confinement, appela sur la ligne d’urgence pour me relater des crises d’angoisse survenues pendant la grossesse (elle est enceinte de 5 mois d’un petit garçon). Elle loge dans une résidence sociale, car sa mère l’a mise à la rue ayant appris que sa grossesse avait eu lieu hors mariage. Elle est très isolée ce qui accentue son état anxio-dépressif. Le suivi téléphonique s’exerça à raison d’une séance par semaine durant à peu près une heure à chaque fois avec énormément de pleurs et de plaintes somatiques. Il n’y avait pas que la grossesse qui était en cause. Je sentis que mes appels l’apaisaient, lui donnaient un repère quasi-affectif où ses affects pouvaient être accueillis et travaillés. Le pont avec son histoire personnelle se fit peu à peu, elle qui devenant prochainement mère, se sentait abandonnée par la sienne au moment où sa préoccupation maternelle (Monique Bydlowski) était la plus forte. Elle transféra sur moi, telle une petite fille, en totale régression face à ce nouveau bébé qu’elle portait. Je l’accueillais dans ses émotions, ses régressions, ses angoisses ce qui lui permit peu à peu de se rassurer et d’acquérir plus d’autonomie face au suivi. Le déconfinement nous permit de nous rencontrer directement mais pas de nous accueillir, nous l’avions déjà fait à travers nos échanges téléphoniques. Le masque n’entrava en rien notre affiliation, Afida continuant de cheminer dans son émancipation et dans la construction de son futur rôle de mère. Pendant le confinement, j’avais mis en place un suivi PMI avec une puéricultrice extrêmement maternante sur qui elle pouvait aussi projeter ses angoisses et être accueillie voire maternée dans toutes ses dimensions. Elle parvint à acquérir plus de maturité face à ce futur enfant qu’elle portait en elle, prit du recul face sa mère et même face au futur père, faisant des projets de vie pour elle et son enfant sa famille.
Son rétablissement tant physique que psychique fut favorisé par son intégration rapide à des groupes de paroles de mères et de femmes issues de sa communauté qui la comprenaient, prenaient soin d’elle, la préparaient à la maternité. Elle a pu trouver en ces femmes une identification. Elle s’en est fait des amies, des gens sur qui elle pouvait compter. Prenant de plus en plus d’assurance dans sa vie, notre thérapie put prendre fin. Ce suivi illustre bien l’importance que le psychologue peut avoir en tant que tuteur de résilience (Michel Delage) possible ou encore comme une possible base de sécurité affective.
Dans les circonstances traumatiques du confinement nous pouvons soulever l’importance de l’offre de soin d’autant plus que lorsque quelqu’un est très insécurisé voire traumatisé, il lui est difficile d’engager une démarche pour obtenir de l’aide, d’autant plus que la crise sanitaire et les mesures de protection prises contraignent à la fermeture de soi.
De cette manière, il faut parler de la possibilité pour le professionnel d’être un tuteur de résilience, c’est-à-dire d’offrir des ressources externes capables de soutenir les ressources internes propres à l’individu. La résilience (Boris Cyrulnik) n’est pas un mécanisme de résistance, c’est un processus permettant de mobiliser les ressources adaptatives et de s’engager dans un processus de transformation permettant non pas tant faire face que de trouver des solutions innovantes pour se dégager d’une situation advenue.
Le travail professionnel est essentiellement basé sur la qualité relationnelle et sur la capacité à constituer une base de sécurité ce qui suppose la disponibilité, l’empathie, la coopération dans la résolution des problèmes. C’est parce qu’on est humain qu’on est relié, la meilleure prévention des troubles psychiques est ce lien perpétuel entre nous qui ramène toujours plus d’humanité. Sans contact, nous sommes vulnérables, fragiles.
Occuper le terrain avec les partenaires et faire des offres de soin est indispensable pour qu’un maximum de familles puisse avoir accès aux prises en charge car nous savons très bien que si nous n’allons pas vers les personnes les plus traumatisées et les plus vulnérables, elles ne pourront pas faire de demande de suivi.
Les groupes de paroles ont été aussi très salvateurs en réinjectant du lien social et humain avec les personnes qui se connaissaient déjà et en accueillant d’autres, alors on peut se poser la question : le lien social est-il une des manières de faire une offre de résilience ?
Bibliographie La pragmatique de l’espoir, Yvonne Dolan in Thérapie Familiale 2003/4 (vol 24)
La résilience, connaissances de base,
Boris Cyrulnik, 2012, Odile Jacob
La résilience familiale, Michel Delage, 2008, Odile Jacob
La dette de vie, itinéraire psychanalytique de la maternité, Monique Bydlowski, 2008, PUF