N° 959 | Le 4 février 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Certes, nous vivons dans un monde de chiffres. Mais cela ne justifie nullement cette tendance si répandue à les considérer comme objectifs. A peine énoncés, on y voit la démonstration d’une vérité incontestable. Ce qu’on oublie trop souvent, c’est que toute mesure est construite sur la base de conventions déterminées et qu’elle reste à ce titre manipulable, imparfaite et discutable. Si les chiffres ont pour fonction de nous aider à décrire la réalité, ils lui donnent aussi un sens et orientent notre manière de voir. Cela signifie que des calculs différents produiraient des résultats divergents qui influenceraient de façon distincte sur notre vision du monde et notre façon d’agir. C’est là toute la démonstration de l’auteure qui nous propose ici un exercice des plus roboratifs : revisiter l’économie d’un point de vue philosophique.
Première illustration : le taux de chômage des jeunes. Affirmer que 25% de cette catégorie est sans emploi ne signifie pas que le quart de la population des 18-25 ans est au chômage. Cela ne concerne que ceux qui sont « actifs », pas tous ceux qui sont encore scolarisés (et ils sont nombreux !). Autre exemple, celui de l’inflation qui concerne des milliers de produits et de services. Des études ont montré que la hausse des prix a plus frappé les catégories les plus défavorisées que celles qui sont plus favorisées, à taux d’inflation moyen égal. Et puis, vient l’inénarrable produit intérieur brut (PIB) qui mesure le niveau de richesse d’une nation, en fonction du flux des échanges marchands. On pourrait tout autant décider de calculer non pas tant la croissance … que l’utilisation qui en est faite et vers qui elle est allée. Le degré d’accroissement ou de diminution des inégalités constituerait alors un critère tout aussi pertinent.
Sans oublier que les richesses produites par l’État ne sont jamais comptabilisées, la doxa dominante continuant à considérer les dépenses publiques comme un trou noir absorbant la richesse produite par les entreprises, sans jamais prendre en compte ce qui pourtant facilite cette production (infrastructures routières, instruction et formation professionnelle des salariés, sécurité publique…). Tout comme d’ailleurs les salariés qui rentrent toujours dans les comptes des entreprises comme des charges et jamais comme une composante de leur valeur, au même titre que le capital. L’objectif de ce livre n’est pas de semer le doute, quant à la véracité des statistiques, mais d’attirer l’attention sur le choix qui est fait de l’objet à définir, de l’utilisation de telle ou telle donnée et de l’angle sous lequel on mène cette étude. Ce qui compte donc, ce n’est pas tant le chiffre obtenu mais la démarche initiale qui a amené à le chercher.
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