N° 1170 | Le 1er octobre 2015 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
D’un côté, on trouve le savoir qui se montre prudent et tâtonnant, qui n’hésite pas à revenir en arrière et qui n’est jamais totalement sûr de lui, tant la fragilité de ses concepts est bousculée par la complexité et l’ambiguïté de la réalité qu’il tente de décrire. C’est bien pourquoi il accepte d’être remis en question ; il souhaite et recherche la contradiction et la dispute non comme un inconvénient, mais comme une opportunité lui permettant de progresser ; il se nourrit de démonstrations qui peuvent toujours se retourner contre lui, en l’invalidant. De l’autre, on trouve la croyance constituée par une certitude irréfutable et invérifiable, basée sur aucune preuve autre que sa simple énonciation. Elle prône une vérité indétrônable qui ne se discute pas, ne se conteste pas et ne se contredit pas. Le doute est son véritable ennemi, annihilé par le dogme, la doctrine et le rituel. La croyance mène à l’interdiction de ne pas croire, charriant l’aveuglement, l’extravagance, la naïveté et l’obstination.
On pensait depuis le siècle des Lumières au recul inexorable de tant de crédulité. Et pourtant, de toutes parts, les croyances se multiplient, nous encerclent, nous envahissent et nous attaquent, affirme Jean-Claude Carrière : « Plus nous savons, plus nous voyons ce que nous ignorons et plus nous ignorons, plus nous avons tendance à croire. » (p. 10) Si la foi mystique et/ou religieuse en est la plus parfaite illustration, certaines disciplines de sciences humaines flirtent aussi avec cette illusion. L’auteur avance plusieurs explications possibles : nostalgie de l’enfance, adhésion rassurante à un groupe, remplissage d’un vide, assurance de trouver enfin son chemin, angoisse face à l’insaisissable, l’indicible et l’inatteignable. Comme anti-poison à ce leurre, il n’y a que l’esprit critique prêt à toujours interroger le sens et l’origine de nos lubies, de nos mythes et de nos convictions.
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