N° 1344 | Le 31 août 2023 | Par Virginie Thuillier, éducatrice spécialisée | Échos du terrain (accès libre)
Le travail en lien étroit avec la nature et l’art, en tant qu’outils thérapeutiques et d’apprentissages, a bien des vertus pour permettre un accompagnement des publics les plus en difficulté, au quotidien comme sur des projets particuliers.
Éducatrice spécialisée en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) auprès d’enfants âgés de 6 à 18 ans en rupture scolaire et présentant d’importants troubles du comportement, j’ai pu mettre en place un projet d’accompagnement particulièrement adapté à ce public souvent confronté à ses sensorialités, souvent en questionnement sur l’environnement, en grande difficulté relationnelle : la création d’une déambulation artistique fleurie et fruitée.
Passionnée d’environnement et de nature, j’ai vécu au plus proche d’elle, et j’ai été initiée à l’art contemporain et notamment au land art. Je suis convaincue de l’importance de travailler dans ce sens, dans la simplicité généreuse et les processus inhérents à ce qui nous entoure, avec ce que la nature proche nous offre cycliquement.
Beaucoup d’enfants et d’adolescents présentant des troubles du neuro-développement (TND), parfois en errance de diagnostic, souffrent de troubles du comportement, de symptômes de violence, envers eux-mêmes ou en direction des « autres », mais également parfois, de tout ce qui croise leur chemin. Ils peuvent se sentir désabusés par ce qui les entoure, par leur avenir, par le sens même de leur vie. Ils ne parviennent pas à faire de lien ou de différence entre ce qu’ils sont, ce qu’ils font, et ce que cela produit (comme la violence par exemple). Ils ont tous perdu confiance en eux, en leur capacité, en leurs rêves. Leur rapport à la temporalité du passé, du présent et de l’avenir n’a pas toujours de sens.
Selon moi, le travail au plus proche de la nature ainsi que la création, de surcroît entremêlée l’une à l’autre, peuvent apporter des réponses à ces comportements, dans le résultat de la création et dans le processus intérieur, symbolique et inconscient de compréhension d’une certaine part d’eux-mêmes.
J’ai pu observer qu’en touchant la terre, en plantant des graines, en étant confronté à ce qui pousse ou non, en observant la pourriture, les transformations, l’harmonie, en vivant le partage, l’échange de graines, le don, en créant avec la nature, sans utilisation de la valeur argent, en apprenant à se nourrir de ce qu’elle donne directement, à respecter la nature telle qu’elle est, à ne pas lutter, à vivre avec elle, à apprendre des anciens, en voyant le beau dans le laid, l’enfant reconnaît quelque chose en lui, de son histoire, de ses traumatismes.
Qu’est-ce qui s’ancre alors ? Qu’est-ce qui pivote, se travaille avec le cadre extérieur ? Et dans le cadre intérieur, au contact de cette nature ? Le jeune s’approprie ces données et parfois, sans même que l’adulte n’intervienne, une réelle prise de conscience se fait. D’autres fois, l’adulte doit aider à mettre en ordre ce qui émerge, en lien avec la psychologue si besoin.
Pour toutes ces raisons, ces échanges et interactions sont des terrains d’observation d’une grande richesse. Ils permettent de comprendre comment chacun, enfant, adolescent ou adulte, fonctionne, les frustrations récurrentes, leur origine, leur capacité d’observation, leur motricité (importantes difficultés d’intéroception et de proprioception dans les TND), leur capacité à symboliser, etc.
En fonction des conditions météorologiques, de l’humeur, du nombre, des contraintes liées aux plantations, il va falloir composer avec les imprévus, ce qui en soi est déjà un gros travail pour des personnes ayant besoin de repères fixes et immuables, mais un travail nécessaire pour pouvoir se projeter dans l’avenir pour certains.
Juste accueillir
Des ateliers en intérieur peuvent être proposés selon le contexte. Ils peuvent se dérouler dans une salle dédiée à cela, où prolifèrent les plantations et expériences de moisissure qui sont observées et arrosées chaque semaine. Des recherches sur internet peuvent être effectuées. Chaque enfant peut être invité à prendre ce qu’il veut en photo, ce qu’il voit, sans tenir compte des principes de la photographie. Puis à les regarder régulièrement, à les retoucher, les transformer, on garde alors une trace de l’éphémère et de l’évolution, dont il est parfois intéressant de voir les ponts avec leurs difficultés du moment.
Pour les enfants ne parvenant pas à visualiser, une maquette peut être construite, par exemple des mini huttes et des arbres, ou encore ici effectuer des recherches sur internet pour voir la photo du ciel et projeter les aménagements possibles.
J’ai eu l’opportunité, dans le cadre de mon travail, de construire deux huttes en osier qui malgré de nombreux assauts ont résisté 6 mois. Il était intéressant de remarquer que malgré leurs ouvertures (volontaires pour avoir un regard), elles étaient contenantes : certains enfants s’y réfugiaient parfois après une “crise” ou simplement pour s’isoler et être en paix.
Tout est à inventer avec la nature, c’est un des cadres les plus contenants, les plus motivants.
Elles ont été démontées à l’automne et cet aspect de destruction, démontage, reconstruction, faisant partie du processus de la nature, a été vécu et verbalisé avec les enfants. Ils ont testé mes réactions face aux destructions. Est-ce que j’étais en accord avec ce que je disais : la nature (ou l’enfant) déconstruit parfois, mais on peut reconstruire, étais-je en accord avec mes émotions ?
Je suis convaincue que la nature est l’un des cadres le plus à même d’amener l’intérêt et le retour au calme, en complément de l’accompagnement éducatif et médical nécessaire, bien plus, parfois, que nous et nos théories analytiques.
Juste laisser faire et observer. Guider, accompagner imperceptiblement.
Ensuite, le travail intérieur de symbolisation, d’acceptation, de connaissance de soi, peut se réaliser si l’on accueille TOUT ce que l’enfant nous exprime à ce moment. Juste accueillir, avec confiance et bienveillance.
Pour ce qui est de la partie artistique, s’entourer d’artistes, travailler avec eux est extrêmement valorisant pour ce public. Il est nécessaire de faire appel à des professionnels de l’art, à leur connaissance, à leur pratique, et que l’échange soit le fruit de la création. Chaque végétal planté, chaque œuvre créée, constitue au fil du temps un lieu évolutif, beau, apaisant, ressourçant, collectif et collaboratif.
L’approche en écoaccompagnement éducatif et créatif apporte des possibilités innombrables pour tout public en souffrance. Les adultes accompagnés pourraient également bénéficier d’une telle structure. Et pourquoi ne pas en faire des structures inclusives, vraiment inclusives.
Soyons fous : et si de telles structures émergeaient, créées et accompagnées par des professionnels atypiques et typiques dans un réel esprit d’insertion ?
Soyons encore plus fous : et si nous pensions ces structures comme des œuvres d’art, conçues avec et pour les personnes accompagnées, où ce serait les « autres », les plus « nombreux » qui viendraient sur leur terrain, en respectant leurs hypersensorialités, leur créativité, voire leurs codes de communication ?
Un lieu où tout le monde pourrait venir se ressourcer. Sans étiquette. Chiche ?