N° 1176 | Le 7 janvier 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Fabien Truong nous propose une magistrale démonstration de la plasticité de ce destin dans laquelle on enferme trop souvent les jeunes adultes vivant dans les banlieues stigmatisées de nos agglomérations. D’un côté, s’exprime un discours plutôt connoté à droite à qui l’on reproche d’être sécuritaire parce qu’il cherche avant tout à défendre l’ordre établi : il considère la jeunesse de ces quartiers comme la principale responsable de l’insécurité qui y règne. De l’autre côté, un discours plutôt de gauche accusé d’être trop laxiste et de cultiver l’excuse sociologique, parce qu’il explique cette même délinquance en mettant en cause les déterminismes socioculturels liés au chômage, à l’échec scolaire et à la discrimination.
L’auteur renvoie dos à dos ces deux postures, en leur reprochant d’essentialiser ces jeunes, en les réduisant à une identité indépassable et irrévocable, les assimilant soit à de la racaille incivile, soit à des victimes de la société. Et de défendre une réalité infiniment plus complexe qui en fait, avant tout, des hommes en devenir confrontés à une trajectoire mouvante et réversible. Pour le démontrer, Fabien Truong nous présente l’itinéraire de trois jeunes. Radouane, expert dans sa jeunesse en destruction de pare-brise de voiture pour voler des GPS et qui, après un DUT et une licence, vise un Master en école de commerce. Tarik, grand dealer devant l’éternel pendant des années, rangé aujourd’hui et qui a entamé un contrat d’apprentissage. Eliott, enfin, brûleur de voitures quand il était plus jeune et aujourd’hui stabilisé, avec un contrat à durée indéterminée.
Chacun de ces jeunes adultes s’exprime avec franchise et spontanéité, présentant un parcours qui, pour être irréductiblement singulier, agit néanmoins comme révélateur d’un certain nombre de constantes. Ce qui est remarquable c’est, d’abord, le conformisme de ces jeunes qui n’aspirent à aucun changement social, mais cherchent avant tout à s’intégrer. Chacun porte à sa façon un regard critique sur l’école républicaine dont il est le produit, tout en proclamant sa ferme intention de veiller à ce que ses futurs enfants s’investissent scolairement. Avec le recul, ils assument leur délinquance passée, sans la regretter forcément, mais en la considérant comme une parenthèse nécessaire, économiquement profitable et moralement condamnable, qu’ils ont refermée pour essayer de trouver leur place dans la société. Ils se disent croyants, mais ont bien conscience que leurs pratiques illégales étaient incompatibles avec leur religion.
C’est l’effet combiné de leur foi, de leur relation de couple et de leur parcours de formation qui leur a permis de renoncer à la délinquance. Ce cheminement démontre finalement combien ils sont bien loin de cette rupture civilisationnelle, cette désintégration sociale et ce délitement civique que l’on diagnostique si souvent.
Dans le même numéro
Critiques de livres
Charlotte de Vilmorin
Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque
Corinne Chapus Le Bars et Annie Vaillancourt (coordination)