N° 1077 | Le 4 octobre 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’ouvrage présente les conceptions de deux éminents administrateurs de plusieurs associations gestionnaires du secteur social qui distinguent trois parties prenantes de l’action sociale : les bénéficiaires, les pouvoirs publics et les associations gestionnaires. Les bénéficiaires sont légitimes à exiger la qualité et la performance des services qui leur sont rendus, même si leur vœu le plus cher consiste quand même à n’en avoir pas (plus) besoin. Les pouvoirs publics sont confrontés à un autre paradoxe : rechercher la rentabilité sociale de prestations dont la productivité ne pourra jamais être assurée. Quant aux 30 000 associations gestionnaires, bien des difficultés se présentent à elles, la moindre n’étant ni l’injonction d’avoir à fusionner ni l’obligation d’avoir à se soumettre aux appels à projet qui les font entrer, peu ou prou, dans la logique concurrentielle du privé lucratif.
Ces trois partenaires sont directement confrontés à la problématique de l’éthique du travail social. Tiens, les auteurs semblent avoir oublié les travailleurs sociaux. Eh bien non : pour eux, les 900 000 professionnels du social ne seraient pas partie prenante de l’action sociale. La raison ? Leur statut de salarié qui les situe dans une relation de sujétion à leur employeur à qui ils doivent allégeance : « Un travailleur social ne peut pas faire état d’une éthique individuelle qui irait à l’encontre de celle prônée par son association employeur » (p.136). Que tout choix à opérer face à chaque situation singulière vienne interroger le fondement des valeurs propres à chacun est donc sinon impossible, du moins interdit par nos deux compères.
Seule est permise la référence à la déontologie professionnelle. Une opération de décérébration doit donc avoir lieu, à chaque recrutement, le logiciel de chaque employeur étant greffé dans la boîte crânienne de chaque salarié. Cette volonté d’imposer une autorité supérieure dans la libre détermination rappelle la règle qui surgit lors des guerres de religion au XVIe siècle. La tradition protestante affirmait : « Cujus régio, ejus religio », maxime latine signifiant littéralement : Tel prince, telle religion. Si la liberté religieuse était pleinement reconnue aux princes, leurs sujets étaient tenus d’adopter le culte de leur seigneur.
Aujourd’hui, nos deux administrateurs reproduisent cette tradition, prétendant que seules les institutions auraient le droit de réfléchir, leurs subordonnés ayant comme obligation absolue d’obéir et de se soumettre ou de se démettre. Ils sont libres d’adopter cette conception issue de la subordination féodale du vassal à son suzerain, qui annule la conscience personnelle et la responsabilité individuelle. Ce n’est pas la nôtre.
Dans le même numéro
Critiques de livres