N° 941 | Le 17 septembre 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le livre de Jean-Claude Liaudet doit être lu de toute urgence. Ne serait-ce que pour se faire une idée définitive sur ce que Françoise Dolto a pu développer comme théories. Car, même si l’on ne peut nier son rôle de pionnière dans la reconnaissance de la place de l’enfant, certaines de ses prises de position sont totalement affligeantes. Et il est encore plus aberrant de les voir présentées en 2008, sans le moindre début d’esprit critique. Qu’on en juge.
Françoise Dolto nous le garantit : le petit garçon de six ans a de forts désirs d’avoir des rapports sexuels au sein de sa famille et notamment de faire un enfant à sa mère (p.129). Heureusement, le père lui signifie explicitement l’interdiction d’en avoir tant avec sa mère qu’avec ses sœurs (p.122). La curiosité inassouvie de l’enfant à l’égard des mystères de la sexualité se transforme alors en goût pour les énigmes. D’où son appétence pour les matières scientifiques (p. 148). Rien de tel chez la petite fille qui se fixe pour objectif de devenir une femme. Quand elle veut faire le ménage et la cuisine comme sa mère, il ne faut surtout pas la contrarier, car ce sont là des « activités traditionnellement féminines » (p.138). Les hommes deviennent chercheurs et les femmes bonnes ménagères : que voulez-vous, le monde est ainsi fait.
Bien sûr, que la petite fille pense, elle aussi, au sexe. Elle cherche même à rendre jaloux son père, en inventant des scènes où d’autres hommes se seraient permis avec elles des libertés. « Il est important de ne pas la prendre au mot, de ne pas l’enfermer dans sa mythomanie », confirme Jean-Claude Liaudet (p. 139). Vous avez bien lu : la petite fille qui se plaint d’attouchements sexuels est une mythomane ! Ce n’est pas tout : le bon élevage, selon Dolto, c’est de laisser l’enfant aussi libre que possible : « Un exemple : dès l’âge de trois ans, un enfant peut avoir une liberté totale pour la nourriture et les vêtements » (p.161).
Quelle drôle d’idée d’accuser Dolto d’avoir permis qu’advienne l’enfant-roi ! Quant aux difficultés d’apprentissage scolaire, c’est très simple. Quand on dit à l’enfant « lis ! », il se bloque, car cela lui rappelle aussitôt le lit de ses parents, réactivant douloureusement le complexe d’Œdipe. Quand on lui dit « écris ! », il se tétanise, au souvenir des cris poussés par ses parents dans leurs ébats amoureux (p.186). Et quand il entend Dolto, il a mal au dos pour s’être levé trop tôt, peut-être ? Cerise sur le gâteau, les propos tenus à un enfant orphelin : « Tes parents sont morts et tu te retrouves seul dans la vie. C’est une grande épreuve pour toi, mais c’est aussi une grande chance. Tu en sortiras beaucoup plus fort que les enfants qui ont encore leurs parents, et plus libre » (citée p. 50).
Elle a de la chance de ne pas s’être pris un pain ! La vénération de l’auteur pour Dolto ne lui permet guère d’avoir beaucoup de lucidité. Il se permet juste de reconnaître : « Elle ne peut le démontrer rationnellement par des arguments logiques et scientifiques » (p.70). C’est le moins qu’on puisse dire. Et de se lamenter, dans la préface, contre les vilains neuroscientistes, cognitivistes et thérapeutes comportementaux qui partageraient le même projet néolibéral. Je ne sais pas ce que valent vraiment leurs théories, mais à vouloir défendre coûte que coûte ce qui dans l’héritage de Dolto relève de la pure ineptie, c’est le meilleur moyen de leur dérouler un tapis rouge.
Dans le même numéro
Critiques de livres