N° 838 | Le 26 avril 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le pardon est trop souvent coincé entre la rancune et l’oubli. Tout comme il a été longtemps obscurci par la morale religieuse de la rédemption. Le colloque de l’association Parole d’enfants tenu en 2005, dont on trouvera ici les actes, a permis un utile effort de clarification. Le pardon n’a rien à voir avec l’amnésie, explique Jacques Lecomte, docteur en psychologie. C’est au contraire un travail de mémoire qui porte sur le traumatisme même si l’on passe de la mémoire souffrante à une mémoire de la souffrance. Pardonner ne relève pas tant d’une démarche dirigée vers l’autre que vers soi-même : c’est avant tout un processus libérateur qui redonne goût à une existence qui était jusqu’alors chargée de cette amertume que seule peut donner une haine incommensurable qui ronge et ne laisse aucun répit. Le pardon n’est pas non plus un devoir moral et ne mène pas nécessairement à la réconciliation avec l’agresseur. C’est là une possibilité, pas une obligation. Certains y auront recours, d’autres jamais.
Pour pardonner, il suffit d’une personne ; pour se réconcilier, il en faut deux. La victime peut fort bien ne pas vouloir aller jusqu’à renouer des liens par trop chargés émotionnellement. Enfin, le pardon peut tout autant avoir une dimension laïque même si, comme le fera remarquer Jorge Barudy, thérapeute familial, la religion chrétienne en a fait l’une de ses valeurs principales. Certains actes, ajoute-t-il, ne pourront être ni pardonnés ni réparés. Même quand le pardon est demandé, il n’est pas forcément donné et quand il est donné, il n’est pas forcément accepté. On ne peut pardonner à celui qui ne reconnaît pas ses torts. On ne peut le faire que pour soi, jamais pour ce qui concerne les autres.
Et pourtant, pour impossible qu’il puisse paraître, le pardon est néanmoins à l’œuvre et plus souvent qu’on ne l’imagine… Ce qu’on recherche alors, c’est interrompre la surenchère et organiser la déliaison avec le passé, avec l’autre, avec soi : reconnaître l’inacceptable de l’acte sans enfermer l’agresseur dans ce qu’il a commis et la victime dans ce qu’elle a subi. « Pardonner, ce n’est pas ignorer, c’est prendre congé de sa souffrance ou accepter sa compagnie, c’est abandonner ses symptômes et se reconstruire », confirme Claude Seron. Pardonner à ses propres parents est un processus difficile. Chacun le bricole à sa façon, explique Maryse Vaillant. Cela commence fréquemment par le déni : on cherche surtout alors à protéger l’image idéalisée qu’on en a.
Puis, vient le temps du réquisitoire, du remaniement des représentations : c’est le moment où on les remet à leur juste place. Troisième phase, celle des inventaires : il s’agit de tenter de comprendre les raisons, de trouver un sens aux comportements destructeurs adoptés par ses proches. Enfin intervient la réparation, le pardon lui-même : pardon parfois qui reste partiel, sous condition ou provisoire. Si la haine a permis de se décoller de la monstruosité familiale, le pardon permet de se séparer de ce lien de haine, de s’émanciper de son emprise, du ressentiment et de la soumission qui l’emprisonnent. S’opère alors un véritable recyclage de la violence : se souvenir devient possible sans souffrir. Se venger, c’est rester dans la confusion avec l’agresseur, pardonner, c’est se délier, se désenchaîner et se libérer de sa position de victime. Ce que Jean-Paul Mugnier, thérapeute familial résume dans une formule magnifique : « Pardonner, c’est respecter l’humanité chez l’autre, pour la retrouver chez soi ».
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