N° 1123 | Le 24 octobre 2013 | Jean Cartry | Critiques de livres (accès libre)

Education spécialisée. Repères pour des pratiques

Paul Fustier


éd. Dunod, 2013 (180 p. ; 18,50 €) | Commander ce livre

Thème : Education

Ce livre s’ouvre sur un oxymore : c’est en effet un vieil ouvrage récent. Ecrit en 1983, il vient d’être repris par l’auteur avec un sentiment d’un déjà dit, mais d’un déjà dit nécessaire.

En effet, comme Sartre, Fustier évolue dans une permanence.

D’ores et déjà Fustier éclaire une histoire qui nous est arrivée à nous, lecteurs : Serge qui a vécu plusieurs années avec nous, est aujourd’hui père de famille et, fameux bricoleur, suscite l’admiration des visiteurs de sa maison. A quelqu’un qui lui demandait où il avait appris « tout ça » Serge a répondu : « C’est Jean ! ». Or je n’ai jamais bricolé avec Serge !

Nous observons là ce que Fustier dit de « l’effet ricochet ». Il écrit : « J’appelle effet ricochet, l’effet de “changement” de « traitement » ou de “soin” que peut avoir cette liberté laissée à l’enfant de s’introduire dans une pratique qui ne le vise pas mais qui reste ouverte s’il veut s’y engager. » Par contre, l’auteur insiste beaucoup sur l’importance du cadre de la relation éducative, cadre sans cesse attaqué par l’enfant ou l’ado pour manifester sa toute-puissance.

Dans ce cadre, l’éduc vit avec le jeune dans une sorte de contiguïté qui est l’autre mot de la proche distance. Et nous abordons au rivage de Winnicott dans cet espace transitionnel où la réalité interne du sujet (et de l’éduc) communique avec la réalité externe. L’éduc, s’il mettait ses gros sabots dans l’espace transitionnel en essayant d’être très bon, corromprait cet espace. Comme les mères chez Winnicott, qu’il se contente d’être suffisamment bon car l’enfant ou l’ado n’est jamais comblé et nous tend toujours le piège de sa demande.

Il faut donc, dans un cadre solide, l’accompagner vers une inéluctable désillusion. « C’est en demeurant suffisamment bon, mais en se distanciant par rapport aux demandes de l’enfant que le travailleur social favorisera le deuil de l’illusion qui marquera la fin de la prise en charge. » p.59. Cet accompagnement vise à permettre au jeune de produire des objets de qualité (réalisations, acquisitions, savoirs, travail de pensée) qui, n’étant pas des gadgets éducatifs, soignent l’image de soi. C’est, dit Fustier, prendre au sérieux la production de l’enfant.

Dans de belles pages sur le travail en AEMO, Fustier introduit le concept de récitation qui permet de comprendre la soumission du jeune aux messages externes ; que Winnicott nomme le faux-self. Nous connaissons ces enfants suradaptés pour se faire bien voir ou pour qu’on leur fiche la paix. En évitant de cibler directement la souffrance de l’enfant, l’éduc botte en touche, si j’ose dire, et met en œuvre des outils de transitionnalité trouvés, créés, dans la vie de tous les jours. En un mot, le vivre avec.

Fustier dit bien d’autres choses dans ce livre sur le fonctionnement institutionnel, la crise sociétale, les syndicats. Mais l’essentiel est, selon moi, dans la transitionnalité qui est le lieu de respiration du psychisme suffoqué par la souffrance. Cette tansitionnalité fait penser à Montaigne : « Je ne peins pas l’être, je peins le passage » Livre III, chapitre III.


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