N° 647 | Le 19 décembre 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Un vrai régal, ce premier livre d’Alain Rouby. L’auteur y cumule toute une série de talents. Celui du pédagogue, tout d’abord, capable de manier avec dextérité la présentation de concepts théoriques et les mises en situation qui s’alimentent réciproquement. Celui de l’écriture ensuite, articulant une plume légère et efficace et une mise en récit de l’accompagnement quotidien d’une population en difficulté. Celui d’un praticien de terrain enfin, qui sait de quoi il parle et qui en parle fort bien, combinant l’approche psychopathologique et éducative d’une manière tout à fait passionnante.
Les psychotiques sont des gens étranges dont on a parfois l’impression qu’ils ne sont jamais aussi heureux que lorsqu’ils se réfugient dans leur monde. Ils sont souvent mobilisés par une lutte contre l’angoisse qui accapare toute leur énergie, au point d’en apparaître paroxystique. Une modification infime peut les menacer et provoquer une infinie peur panique. Ils ne posent pas de questions mais sont traversés par elles : ils les incarnent. Hallucinations, délires, altération du sens de la réalité, dépersonnalisation, identification projective, clivage ou déni etc. tous ces comportements ne peuvent être canalisés que par l’action de l’accompagnateur qui sert de pare-excitation, par la régularité qui rassure, les rites qui jouent un rôle de contenant et la répétition des successions temporelles qui temporise. Seule la permanence semble pouvoir les stabiliser. Quelles sont les grandes règles à respecter pour éduquer les enfants psychotiques ? Alain Rouby en retient cinq.
Premier principe : apprendre à entendre au pied de la lettre. Dire par exemple à un enfant cherchant à lire par-dessus notre épaule que ce document ne le regarde pas, pourra être compris par lui comme l’acte de l’objet refusant de l’observer. Mieux vaut lui dire que cela ne le concerne pas. Seconde règle : bien connaître leur univers. L’enfant psychotique est animé par la crainte d’être détruit, il ne distingue pas toujours ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas, doute de sa propre existence et de celle de l’autre, rencontre des difficultés quant à l’identification de son nom et de son image, ne comprend pas toujours le sens de la loi etc. Troisième principe : développer sa capacité à se mettre à l’écoute de l’autre, non d’une manière passive mais en accueillant sa parole et en montrant son désir de le comprendre et d’entendre la vérité de ses souffrances. Quatrième axe : apprendre à se taire et à ne pas noyer l’autre dans des explications à n’en plus finir. Choisir des propos univoques et concrets. Enfin dernier grand principe : ne jamais travailler seul, afin d’offrir une multiplicité d’interlocuteurs et de réduire ainsi les risques de points aveugles et de mauvaises interprétations.
L’accompagnateur doit se faire le porte-parole, au quotidien, des lois de la nature, des lois relationnelles et finalement de la réalité à laquelle il cherche à rallier son patient.
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