N° 660 | Le 3 avril 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
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Les éducateurs sont des taiseux. Ce qu’ils vivent, ils en parlent en petit comité. Mais dans les colloques, ils sont tout le temps dans la salle, rarement à la tribune. Dans les librairies, ils n’encombrent pas les rayons. La déforestation ne leur doit rien. Bernard Vrech est l’une des rares exceptions qui confirme la règle. Il jette un regard acide parfois, plein d’humour souvent, lucide toujours sur son itinéraire d’éducateur. Attention les dents : derrière la dureté du propos, une évocation qui ne fera pas plaisir à tout le monde.
Tout a commencé, explique-t-il, par l’organisation de la transhumance de l’enfance malheureuse : pas un castel qui ne soit investi par un conseil d’administration pour accueillir des troupeaux de délinquants. Et puis, continue-t-il, un vent de libération s’est mis à souffler qui est venu effeuiller les vieux arbres des anciennes pratiques. L’automne fut rude : on diminua la capacité des groupes. L’hiver venu, on ferma les 3/4 des internats. Le secteur de l’enfance inadaptée déménagea rue du travail social. Des travaux sont en cours pour regrouper tout le monde boulevard des actions d’insertion. L’approche individuelle supplanta l’action de groupe. L’accompagnement social s’imposa comme la réponse adaptée.
Pour l’auteur, de quoi changer la nature de l’action professionnelle : on peut la pratiquer depuis son bureau, soit en étudiant le dossier, soit au téléphone en se coordonnant avec ses partenaires. Les sujets pour lesquels on agit ? Il faut leur appliquer une neutralité bienveillante. Ni trop près, ni trop loin : surtout ailleurs. Bien sûr, concède Bernard Vrech, on ne peut réinventer des familles disloquées ou remonter l’horloge des carences. On sait que le mal est fait. Mais, on peut soigner les blessures et dire « viens, j’ai le temps pour qu’on aille voir dehors s’il y a du beau pour toi ». Renoncer au rôle de référent et de témoin pour élever les éducateurs au pis de l’accompagnement et de la médiation, c’est les condamner à patauger dans les flaques de la crise identitaire. L’incompréhension s’installe alors entre les jeunes sauvageons d’aujourd’hui et des équipes, qui férues des réponses d’hier, ne peuvent donner que ce qu’elles savent.
Mêmes dopées à la caféine, elles ne tiennent plus le coup. Les éducateurs se sont perdus. Oubliés leur raison d’être. Plus assez de tripes dans le ventre pour faire leur métier. Comment penser que les jeunes accueillis puissent être apaisés quand ils voient l’agonie de certaines équipes. À peine, ont-ils quitté les guerres familiales, ils sont confrontés au malaise de professionnels qui ont renoncé à l’ambition progressiste initiale pour retomber sur l’immuable des pratiques conservatrices. Et l’auteur de revendiquer l’inattendu, l’aléatoire et l’inventivité. La charge est féroce. Mais, c’est peut-être, le risque à prendre quand on donne la parole à un professionnel.
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