N° 869 | Le 24 janvier 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Nous sommes héritiers d’une époque qui a longtemps cru à la possibilité d’en finir un jour avec des conflits assimilés à la persistance de la barbarie. Aujourd’hui, tout ce qui peut menacer l’apparente quiétude qui semble régir notre vie, effraye et inspire de farouches volontés de maintenir la paix. Pour les auteurs, contrairement aux représentations courantes qui tendent à le nier, le fonctionnement humain est fondamentalement conflictuel : « Le devenir d’une personne tient aux forces contraires qui poussent en elle. » (p.48). La confrontation n’est donc ni anormale, ni accidentelle : elle est consubstantielle à l’espèce humaine. Elle est le produit de la complexité et du foisonnement des points de vue et des places qui s’affrontent spontanément.
Car, le vivre ensemble est une dynamique dans laquelle les être humains se cherchent, s’adaptent et s’articulent dans ce qui ne relève pas toujours, mais le plus souvent, de la peine et de la souffrance. On ne peut donc réduire le conflit à un simple problème auquel il faudrait trouver une solution. Il est l’expression de cette part d’inaliénable que constitue l’altérité. Ce n’est pas cette logique que défendent nos sociétés qui « nient et refoulent la multiplicité conflictuelle qui nous compose, proposent comme élément identificatoire une série de rôles normalisés qui doivent formater et dompter le multiplicité, et dans lesquels nous somme censés nous reconnaître » (p.50).
Les auteurs illustrent leur démonstration en abordant le thème des conflits armés. L’inflation des guerres barbares, affirment-ils, serait le produit de l’idéologie pacifiste. Car à force de refuser toute légitimité aux antagonismes, on en vient à naturaliser le consensus, à exiger une transparence radicale et à considérer toute exception comme le produit d’une déviance. Le conflit s’explique alors par une cause qui devient unilatérale : celui du bien contre le mal, de la santé contre la maladie, de la sécurité contre l’insécurité, de la démocratie contre le terrorisme. C’est quand la guerre n’est plus considérée comme une forme de violence parmi d’autres de la société des hommes, c’est quand on lui fixe comme objectif la paix universelle, c’est quand on cherche des solutions susceptibles d’y mettre fin définitivement, qu’on ouvre alors la porte à la barbarie. On devient porteur du juste, l’autre se transformant en une souillure à éliminer.
Toute autre est la tentative de régulation de la violence dont l’exemple le plus ancien est cet « art de la guerre » écrit au IVe siècle avant JC par le général Sun Tzu qui, en officialisant la nécessité de l’affrontement, revendiqua de réduire le coût humain non seulement dans ses propres troupes, mais aussi chez l’ennemi et notamment dans sa population civile. Quand il devient pensable et pensé, le conflit peut s’autolimiter, l’autre n’étant pas réduit au symptôme d’une anomalie à corriger.
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