N° 608 | Le 7 février 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
À raison de 7000 mineurs incarcérés par an, les « sauvageons » sont en permanence entre 700 et 900 à se répartir sur une cinquantaine d’établissements pénitentiaires. Si cette mise à l’écart protège la société de nouveaux passages à l’acte, elle ne fait que préparer ceux qui surviendront plus tard. Les principes de justice qui ont présidé à l’enfermement d’un jeune sont quotidiennement bafoués tout au long de son séjour en prison : racket, consommation de stupéfiants, arbitraire des décisions administratives, conditions de vie déplorables, etc.
La première chose qu’il doit décliner, à son arrivée, c’est sa pointure : ses chaussures sont susceptibles de lui être volées dans les tout premiers jours par ses codétenus. Les faibles doivent payer leur tribut aux plus forts. Il est ensuite affranchi des codes qu’il se doit de respecter. Il en va ainsi de l’approvisionnement en produits psychotropes de toutes sortes : cannabis d’abord qui circule largement, mais aussi médicaments prescrits par le service médical et qui font l’objet d’un trafic florissant. Les Terciac©, Valium©, Vanax©, Tranxène© et Subutex© (qui reste le produit le plus prisé) président ainsi à la défonce carcérale. Les cachets sont concassés pour être réduits en poudre. Ils sont alors soit sniffés, soit injectés après avoir été dilués dans un peu de jus de citron.
Et puis, il y a la violence qui peut surgir à tout instant : les lames des rasoirs jetables sont fréquemment récupérées pour être transformées en arme. La cour de promenade est alors le lieu des règlements de compte : l’occasion d’infliger à son ennemi une belle balafre que celui-ci s’empressera d’affirmer s’être fait en tombant, si un gardien l’interroge. Rien d’étonnant donc si 75 % des jeunes incarcérés retournent un jour en prison. Comment remédier à cette réalité affligeante ? La question des moyens est sans doute essentielle. Avec son 1,67 % du budget de la nation, la Justice constitue le parent pauvre de l’État.
Pour la prison de Lyon, par exemple, 957 € (6280 F) étaient disponibles en 2000, pour financer les cours d’inscription au CNED, soit 1,5 € (10 F) par détenu permanent. Mais, il y aussi la pesanteur administrative à réagir face aux conditions d’incarcération parfois inqualifiables. Sans oublier ces gardiens pas formés et peu préparés à faire face à des adolescents, et qui ne cherchent qu’une seule chose : ne pas être ennuyés, y compris en tolérant si nécessaire un caïdisme susceptible de faire respecter un certain ordre.
Des expériences ont été menées permettant à des quartiers de mineurs d’être notablement renforcés en personnels, choisis, en outre, sur la base du volontariat. Mais ces gardiens qui ont investi leur nouveau rôle sont fréquemment l’objet des attaques de leurs collègues (qui les traitent d’assistantes sociales !). Et puis, il y a cette nécessité de tenter de faire respecter la loi aussi derrière les barreaux. Si les choses changent, cela est encore loin d’être gagné.
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