N° 1014 | Le 14 avril 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Nos sociétés contemporaines se caractérisent par un désir de murs, murs qui ne se contentent pas de défendre contre un extérieur perçu comme menaçant, mais qui façonnent tout autant les identités de l’intérieur. Cet état de vigilance s’avère autant entretenu par des politiciens qui placent la banalité sécuritaire au cœur de leur légitimité, que désiré par des citoyens animés par la peur d’autrui. Dans le même temps, il est paradoxal de vouloir à la fois se protéger des étrangers et généraliser leur flux, en neutralisant l’étanchéité des frontières.
C’est à ces problématiques que tente de répondre Mickaël Fœssel, n’hésitant pas pour cela, à aller chercher du côté de philosophes contemporains ou classiques. L’État providence a laissé la place à l’État libéral autoritaire, explique-t-il. Le marché servant dorénavant de modèle à tous les domaines de la société, ce qui l’emporte c’est la théorie de l’acteur stratège qui, analysant froidement les coûts et les bénéfices de ses actes, devient le principal responsable de son sort. Cherchant à minimiser ses pertes et maximiser ses gains, il lui faut, avant tout, sécuriser ses investissements. S’il n’est pas forcément maître des résultats de son action, il l’est toujours des calculs qui y mènent.
Pour cela, il lui faut récolter le maximum d’informations sur ce qui menace l’ordre transparent des échanges. On trouve l’une des illustrations de cet archétype, dans la peine qui n’est plus la rétribution d’un acte commis, mais l’indication des risques encourus. On attend du délinquant qu’il soit parfaitement au courant des conséquences de son infraction. La récidive serait alors la version pénale d’un mauvais investissement économique : la société aurait alors pris un risque inconsidéré, en pariant sur la réinsertion du détenu. La présomption d’innocence laisse la place à la présomption d’innocuité. Dans une société sécuritaire, le crédit accordé aux incertitudes humaines est épuisé. La garantie de la sécurité devient la finalité résiduelle de toute action politique. N’ayant plus rien à offrir en termes de garantie sociale et économique, les gouvernements investissent le champ de la peur, à coup de législations répressives et de discours martiaux.
Pour Mickaël Fœssel, faire de la sécurité un droit revient à rêver d’une maîtrise absolue du monde, par l’abolition de toute contingence. L’idéal de la quiétude totale est incompatible avec la démocratie et implique une restriction potentiellement illimitée des autres droits. Il préfère y voir un bien, désiré et non exigible, produit d’une acquisition politique, synonyme d’un progrès social partagé, préalable et non horizon de la démocratie. Il nous propose de faire le pari du risque, se mesurant toujours à l’imprévisibilité du monde.
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