N° 965 | Le 18 mars 2010 | Jean Cartry | Critiques de livres (accès libre)
La couverture du livre commise par l’ami Jiho donnerait à penser qu’il s’agit d’un manuel de coups de pieds au cul subventionné par l’extrême droite. Ce dessin ouvre, au second degré bien sûr, un parcours de réflexions sur la philosophie d’un métier où les fesses des mômes ne risquent (plus) rien. D’emblée, l’auteur rappelle cette boutade de Freud : éduquer est un métier impossible. Nullement découragé, Philippe Gaberan s’attache en deux cents pages et trente préconisations à démontrer le contraire !
Ce petit livre est une méditation religieusement laïque sur notre impossible métier, organisée autour de la sainte trinité constituée par le père, le professeur et l’éducateur spécialisé. Bien sûr que l’autorité est en chute libre et que la postmodernité retire la sienne à l’Etat central. Mais, l’éducateur est investi du devoir de transmettre une histoire humaine, constituée d’expériences et de valeurs d’où surgit, sans cesse réactualisée et vivifiée, la question du sens à la vie, et, par conséquent, celle du sens de la relation éducative qui doit s’établir sur un socle anthropologique et subversif : « Par-delà la relation à l’autre, veilleurs de l’humain et sentinelles des droits de l’homme, le père, le professeur et l’éducateur spécialisé sont trois figures de l’adulte éducateur qui viennent taquiner la question du pouvoir et de son exercice (p.8-9) »
Par les temps qui courent, vaste programme ! On comprend que les pères soient en difficulté, les profs dans la rue et les éducateurs suspects de complicité avec les jeunes. Le pouvoir n’aime pas, n’aimera jamais, qu’on propose aux jeunes des expériences de liberté. Gaberan a raison d’affirmer que si l’éducation est un art, elle est aussi une science confrontée sans cesse à la complexité, à la diversité et à la mouvance de son objet. Reste une obligation de moyens sinon de résultats. Le libertarisme économique et idéologique n’aime pas çà non plus ! Et l’auteur en colère de murmurer (quand on le connaît, on apprécie sa retenue) : « Ceux qui, managers des temps modernes, prétendent pouvoir établir un autre rapport à la réalité que celui-là, sont des petits comptables de la chose humaine et non des responsables de dispositifs d’aide éducative et de soin » (p.71)
Impossible de commenter ici les trente maîtres mots qui ouvrent au possible nos impossibles métiers. Ils tombent en fin de chaque paragraphe comme l’ainsi-soit-il d’une sorte de prière professionnelle, prière parce qu’elle touche au sacré de l’enfant. Reste une énigme. Si le père s’occupe de l’enfant, le prof de l’élève, l’éducateur spécialisé, selon Gaberan, s’occupe de l’autre, sans jamais nommer explicitement l’enfant, l’ado ou le jeune. Est-ce à dire que ce qui spécifie cette relation éducative singulière, c’est une expérience d’altérité qui engage l’être de l’éducateur dans la clinique de la souffrance ? Comme a dit Freud : « L’autre, c’est moi ».
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