N° 1271 | Le 14 avril 2020 | Jeremy Lenchantin, éducateur spécialisé en prévention | Espace du lecteur (accès libre)
Volontaire, volontiers, pour prêter main forte pendant une semaine dans un foyer ou cinquante jeunes sont confinés…
De la prév’au foyer, un cap… Alors d’un pas… pas bien (r) assuré… les portes s’ouvrent pour quatre jours d’un 12 h 00-22 h 00 qui s’annoncent…
D’abord pour accueil, des remerciements, d’un directeur sur le balcon de son bureau, costard cravate, kit main libre à l’oreille… sans doute débordé…
D’une cheffe de service qui par principe fait son devoir : « Vous serez avec les 12-15 ans, ils sont neuf. Surtout n’hésitez pas à les occuper. »
Enfin, des remerciements d’une éducatrice qui connaît le groupe mais qui n’y est plus depuis un certain temps… Qui semble épuisée mais qui ne lâchera rien.
Des remerciements… Mais surtout, des remerciements parce que… sur six éducateurs de l’équipe, les six sont absents.
Des remerciements, parce que faire comme si, ce n’est pas si évident. Des mots qui résonnent : « Si vous avez des activités n’hésitez pas… occupez les. » Sans déconner…
L’activité comme anesthésiant… L’activité pour faire comme si…
Quand rien n’a été posé institutionnellement pour les jeunes, quand rien n’a été discuté avec les éducateurs… il reste les remerciements d’être là, à tout prix…
Des remerciements comme une prière, personne ne le dit mais tous prient fort : « pourvu que ça passe ». Alors surtout ne rien changer faire comme si…
Maintenir les mêmes règles, les mêmes horaires : lever, repas, coucher… Même si, à chaque fin de service, un nouvel éducateur, intérimaire, volontaire (personne…) arrive sans que quiconque ne sache réellement combien de temps il restera ?
Alors, ironie du sort, les intérimaires défilent à croire que plusieurs ont été contactés et que le premier arrivé sera le premier servi… Mieux vaut être sûr que quelqu’un soit présent…
Pendant ce temps-là, les jeunes demandent qui fera le coucher… Ils veulent savoir, ils ont besoin d’être rassurés… Et, toi tu fais… comme tu peux…
Alors, faire comme si… Et faire en sorte que les jeunes préviennent quand ils changent d’unité… Pourtant, pas évident, quand les p’tits frères et les p’tites sœurs sont dans les murs d’à côté ; quand la Playstation est à l’autre bout du bâtiment ; quand l’envie d’aller draguer pointe fort le bon de son… nez ; quand l’éducateur d’à côté est plus stable que l’ensemble des éducateurs présent sur leur unité.
Puis, s’avouer en « off », qu’en fait ils font ce qu’ils veulent… Et qu’on les comprend…
Alors, faire comme si… même quand l’extérieur entre à l’intérieur masqué, ganté alors qu’aucun masque n’a été fourni pour les structures.
Faire comme si… En faisant les devoirs avec deux ordinateurs pour neuf et une connexion pourrie… Et puis mettre deux jeunes par table pour respecter les gestes barrières : COVID oblige… Absurde quand deux minutes plus tard ils sont côte à côte dans le canapé, en train de regarder un film…
Faire comme si… Même quand un jeune se fracasse la main contre un mur suite à une bagarre et que la cheffe de service demande à l’éducateur volontaire fraîchement arrivée d’accompagner le jeune aux urgences… Laissant sur le groupe un seul professionnel, présent depuis deux jours faire la soirée, le coucher…
Faire comme si… Même quand au bout de quatre jours sur l’unité, tu as l’impression d’être un ancien et que ces gamins, même s’ils t’ont fait la misère, tu t’es attaché…