N° 772 | Le 3 novembre 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
« Les femmes sont davantage protégées de la misère », pense-t-on habituellement. Véronique Mougin démontre le contraire dans un livre très bien documenté qui alterne les témoignages et des chiffres spectaculaires. Il est pourtant vrai qu’il existe bien une discrimination positive pour certaines femmes, celles qui sont mères d’enfants de moins trois ans, et qui, pour cette raison, sont relativement préservées tant par les CAF que par l’aide sociale à l’enfance. Mais au-delà de cette limite d’âge de leur progéniture, elles retombent dans le lot commun. En 2001, 22 000 femmes erraient dans les rues, représentant 36 % des SDF. Longtemps considérées comme les grandes prêtresses de la sphère domestique et ordonnatrices du domicile conjugal, « les femmes sont vécues et se vivent souvent comme l’ultime rempart contre l’adversité. Leur présence dans la rue suggère que ce rempart est fissuré » (p.268).
Comment en est-on arrivé là ? Il y a d’abord, bien sûr, la paupérisation en tant que phénomène général : les Français vivant de minima sociaux sont passés de 6 % de la population en 1980 à 10 % aujourd’hui. La catégorie des bas salaires est passée de 11,4 % en 1983 à 16,2 % en 2002. Entre 1988 et 2002, les revenus des ménages ont augmenté de 30 %, alors que dans le même temps les loyers ont flambé de 80 %. Plus d’un million de personnes vivent dans 400 à 600 000 logements insalubres. Mais dans cette dégradation globale, l’armée des pauvres se conjugue de plus en plus au féminin. On évalue de six à huit millions, le nombre de femmes qui cumulent des formes de précarités qui peuvent être professionnelles, juridiques, sociales, économiques ou psychiques. Plusieurs raisons à cela : elles représentent 60 % des cinq millions de salariés engagés dans un emploi non qualifié et 80 % de ceux qui sont payés au SMIC.
En quelques années, le temps partiel a explosé, passant d’un million et demi d’actifs en 1980 à quatre millions en 2003. Cette modalité de travail est à 82,5 % féminine. Quand ce régime est choisi, il constitue un progrès. Mais il est très souvent imposé, devenant dès lors facteur important de pauvreté. Dans le privé, à qualification égale, les femmes bénéficient d’une rémunération inférieure de 23 % à celle des hommes contre 16,5 % dans le secteur public. Quant aux familles monoparentales, dont l’immense majorité est composée de femmes avec leurs enfants, elles vivent pour 24 % d’entre elles avec moins de 600 € par mois. Il en va même jusqu’aux retraitées qui ne sont que 34 % à percevoir une pension complète. Elles sont nombreuses ces femmes qui « auparavant, s’en sortaient “juste, juste’’ et qui, soudain, se retrouvent sans le sou, surprises autant qu’abattues » (p.63). Mais, leur tactique consistant à se fondre dans la masse aboutit à les rendre sinon invisibles, du moins discrètes et peu voyantes.
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