N° 671 | Le 26 juin 2003 | Patrick Méheust | Critiques de livres (accès libre)
Cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat en économie, étudie dans quelle mesure l’économie solidaire peut représenter une opportunité pour les femmes de combler les inégalités statutaires, sociales, économiques qui les séparent encore des hommes. Rappelons que l’économie solidaire regroupe l’ensemble des initiatives privées basées sur la poursuite de l’intérêt collectif, loin de toute recherche de profit (associations, secteur mutualiste et coopératif). Les femmes, souvent garantes du bon ordonnancement de l’espace domestique au nom du devoir familial, se retrouvent dans de multiples cultures exclues d’office des sphères marchandes et civiques et donc empêchées d’accéder à un réel pouvoir.
La manière dont est pensée la famille « traditionnelle » contribue puissamment à structurer un rapport de production/subordination où l’homme, en charge de l’activité productrice, se trouve valorisé aux dépens de l’autre sexe, cantonné pour sa part dans des travaux de second ordre. Cette répartition des rôles et des tâches consolide en outre l’idée communément admise en occident que les liens affectifs, tout ce qui a trait à la sentimentalité (domaine privilégié de la « compétence » féminine), doit rester préservé de la corruption du dehors. « La division sexuée des rôles est autant un principe de l’ordre social qu’un mécanisme cognitif qui structure les modes de pensée des hommes mais aussi des femmes » résume catégoriquement l’auteur. Pour sortir de ce cloisonnement, l’économie solidaire peut s’avérer salutaire dans le sens où elle propose une logique de construction conjointe des projets selon des schémas qui s’inspirent du vécu quotidien des gens.
Cette démarche peut effectivement aider à vaincre le sentiment d’arbitraire, de vulnérabilité et de sujétion qu’éprouvent bon nombre de femmes marginalisées sur les plans économique et social. Les espaces intermédiaires proposés permettent ainsi aux femmes de s’exprimer, de construire leurs propres modes de pensée et de maîtriser davantage leurs choix. Il s’agit de leur offrir la possibilité de convertir des droits formels un peu théoriques en une réalité concrète. L’ouvrage n’aborde pas uniquement ce thème à travers ce qui se passe aujourd’hui dans les pays développés. Il se penche en effet également sur certaines expériences africaines. Au Sénégal, par exemple, l’accès au crédit grâce à la constitution de groupes de caution mutuelle entre femmes permet, à partir d’une sociabilité féminine, de servir aussi la cause de l’émancipation.
Isabelle Guérin, on le voit, a volontairement cherché à enquêter sur une vaste échelle. Il en ressort un livre plein d’intérêt tant sur le plan théorique qu’en ce qui concerne les expériences relatées.
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Critiques de livres
Sous la direction de Thierry Goguel d’Allondans