N° 704 | Le 8 avril 2004 | Patrick Méheust | Critiques de livres (accès libre)
Sujet à surmortalité en période de froid hivernal, le SDF, comme les oiseaux migrateurs, doit faire l’objet d’une attention particulière… C’est par ce rapprochement quelque peu outrancier mais révélateur cependant d’une certaine tendance à rejeter les « SDF » hors de la sphère de l’humain, que débute cet ouvrage. Le titre reflète bien le projet des auteurs, celui de décrypter des parcours souvent douloureux, des processus de désaffiliation qui conduisent en règle générale à l’errance, au vagabondage, à la clochardisation. Mais ces figures sont également celles des crispations idéologiques qui se manifestent dans les dispositifs stigmatisants de prise en charge de la pauvreté et dans la vitalité d’un social « assistanciel » qui contribue, lui aussi, à marquer définitivement la singularité des « SDF ».
Rappelons à cette occasion qu’un des grands objectifs — sans doute un peu naïf — de la loi contre l’exclusion était de revenir au droit commun afin d’éviter un surcroît de marginalisation. Peut-on repérer cependant des facteurs de risque, en particulier chez les jeunes, qui potentiellement seraient comme annonciateurs d’un futur menacé par l’errance ? Indiscutablement, selon les auteurs, conflits familiaux, violences récurrentes souvent liées à une alcoolisation des parents ou beaux-parents, comportements incestueux, ruptures familiales (décès, divorces, absence du père, etc.), placements incertains entre foyers et familles d’accueil sont autant d’évènements qui, effectivement, semblent nourrir une prédisposition à l’errance, celle-ci pouvant s’apparenter alors à une forme de fuite. Mais, selon les auteurs, il s’agirait aussi d’une « tentative de subversion du déclassement initial qui prend la forme d’un reclassement ».
Le SDF intègre alors un monde qui échappe à l’entendement commun, un monde dont l’étrangeté rend une réelle communication pratiquement impossible puisque les repères partagés sont désormais absents. Comment comprendre véritablement quelqu’un qui n’a ni foyer, ni emploi, ni projet, aucun horizon qui fasse écho dans notre propre vécu ? Aussi, les histoires personnelles de SDF permettent-elles, avant tout, un travail de reconstitution des déterminismes conduisant à l’errance. L’histoire des SDF nous parle alors, peut-être, à travers une mise en perspective avec notre propre parcours. N’y a-t-il pas en effet quelque chose de troublant dans cette réflexion d’une jeune SDF désemparée : « J’avais peur de travailler, de me retrouver dans le monde adulte. En fin de compte je crois que j’en suis arrivée là volontairement, inconsciemment évidemment, mais volontairement ».
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