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Habitants des quartiers populaires : que valent nos vies ?

Texte et photos par M’hamed Kaki, fondateur de l’association Les Oranges à Nanterre (Hauts-de-Seine), habitant de la ville, ancien éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), comédien et auteur de la pièce de théâtre "17 octobre 1961, je me souviens..." (1)

Nahel, 17 ans, abattu par un policier à Nanterre à bout portant mardi 27 juin 2023, lors d’un contrôle routier.
Cette horrible exécution en direct pose la question de la valeur de la vie et singulièrement de nos vies dans les quartiers populaires.
Ce terrible drame survenu à Nanterre et son embrasement dans plusieurs villes de France n’est pas nouveau.



Le jeudi 29 juin à Nanterre, la marche organisée en hommage à Nahel, 17 ans, tué deux jours plus tôt par un policier pour "un refus d’obtempérer", a rassemblé plusieurs milliers de personnes.
La colère de la jeunesse puis sa révolte, montrent le processus d’identification collective de plusieurs milliers de personnes qui se disent : « Ça pourrait être moi ou un membre de ma famille la prochaine fois ». Mais ces crimes policiers ne sont pas nouveaux et le sentiment de toute-puissance qui les accompagne non plus. Nous pouvons dater cette toute-puissance et l’idée que dans la tête de certains policiers, la vie des Français héritiers de l’immigration coloniale, des immigrés et des pauvres, n’a pas de valeur. Pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à Nanterre et ailleurs, il nous faut éclairer le présent par le passé.

La preuve par Nahel

Nahel, 17, ans livreur de pizza. Ce 27 juin 2023 conduit un véhicule. Il est arrêté par deux policiers dans un embouteillage à Nanterre-Préfecture. L’un des deux, le tient en joue. Nahel panique. La voiture a à peine le temps de démarrer que le policier lui tire à bout portant sur la poitrine. Nahel décède rapidement, malgré les tentatives de réanimation en premiers secours des pompiers.

Stratégie du mensonge permanent chez certains policiers

La version des policiers sera immédiatement mensongère : ils plaident la légitime défense.
Mais cette mort en direct sera par chance filmée et diffusée sur les réseaux sociaux.
La vidéo apporte clairement la preuve qu’il s’agit bien d’une exécution de sang-froid en direct.
L’information se propage dans le monde entier : indignation, colère, révolte contre ce qui sera considéré comme un monstrueux passage à l’acte gratuit du policier. L’embrasement dans les villes se propage au-delà de Nanterre, fruit de la colère, d’abord de la jeunesse et du sentiment que n’importe quel citoyen peut être abattu dans l’indifférence générale des pouvoirs publics.
Aucun doute que cette vidéo sur la mort de Nahel est la clef de compréhension sans laquelle le mensonge et le camouflage de la version des policiers sur les circonstances de l’exécution auraient pris le dessus sur la vérité. Certains médias avaient d’ailleurs repris la version mensongère des policiers sans vérifier leurs sources mais pire : en ajoutant des grossièretés et des mensonges aux mensonges « légitimes ». La notion de « connu des services de police » qui n’a aucune légitimité juridique mais au contraire sert à disqualifier les victimes en général. La hiérarchie des crédibilités a fonctionné à plein régime en faveur des policiers, tant du côté des pouvoirs publics que des médias dominants. Tout a été fait pour discréditer la victime. Autrement dit, le mensonge de certains policiers est souvent légitimé par les faiseurs d’opinions. Heureusement que la vidéo citoyenne a contrecarré cette logique d’accablement de la victime que l’on transforme en coupable depuis soixante-dix ans.

La toute-puissance supprime la vie des autres

Une question demeure : pourquoi ce policier qui aurait pu aisément maitriser l’enfant de 17 ans a choisi l’option de tirer à bout portant ?
C’est là l’enjeu politique central, la reproduction des crimes racistes depuis plus de soixante-dix ans est le fait de la toute-puissance de celui qui est du coté du pouvoir, de la domination ou qui agit pour le compte de ceux qui se trouvent au sommet de hiérarchie de la puissance.
Quand quelqu’un décide de mettre fin à la vie de quelqu’un d’autre, en particulier de manière délibérée comme l’a fait ce policier en supprimant la vie du jeune Nahel à Nanterre, c’est qu’il pense que la vie des autres n’a pas de valeur. Mais surtout qu’en supprimant la vie d’être humain dans les quartiers populaires, il est convaincu qu’il ne lui arrivera rien, qu’il sera de toute façon protégé par les gens d’en haut avec lesquels il pense être consciemment ou inconsciemment en connivence. Une connivence administrée de façon quotidienne par certains médias dominants par le fameux « oui mais... ». Dans l’affaire de Nanterre, les commentateurs ont commencé par un « oui mais il n’avait pas de permis... » ou encore de manière grossière « oui mais il y a eu refus d’obtempérer  ». Autrement dit, la réponse à un homicide volontaire c’est « oui mais… ». Du coup, l’auteur de l’exécution en règle générale, va se sentir autorisé par les milieux autorisés à être dans la toute-puissance d’une connivence à passer à l’acte. La toute-puissance peut se résumer par « je fais ce que je veux, rien ne peut m’arriver » ou quelques fois « de toutes façons, c’est moi qui décide, je suis Dieu  ». Quand le droit s’absente de la tête de ceux qui ont la charge de nous protéger alors, le volume morbide de la toute-puissance perverse de certains individus s’autorise à supprimer la vie de leurs semblables avec la certitude qu’ils seront protégés par la société. C’est le début de la terreur, la loi de tous contre tous : c’est la guerre .

1983-2023 : 40e anniversaire de la Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme : une marche pour le droit de vivre

Ce terrible drame pour la famille de Nahel, mais aussi pour toute la France, arrive au moment où nous allons célébrer le 40e anniversaire de la Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme du 15 octobre au 3 décembre 2023.
Celle-ci avait été organisée précisément contre les crimes racistes et policiers des années 1970-1980.
À l’époque, les assassinats racistes étaient réguliers, l’élucidation et les condamnations des auteurs, proches de zéro.
C’est après qu’un jeune ait été gravement blessé que le Père Christian Delorme, Djamel Attalah et quelques autres, ont décidé de ne pas répondre à la violence raciste par la violence. Ils ont fait le choix d’une marche à la Gandhi par opposition à ceux qui voulaient en découdre directement avec le commissariat de police de Vénissieux. Partie le 15 octobre de Marseille avec une poignée d’individus et arrivée à Paris le 3 décembre 1983 avec plus 100 000 personnes, la « Marche » fut une réussite pour la prise de conscience des quartiers populaires de la nécessité de l’auto-organisation et de l’action collective pour l’égalité. La Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme restera le marqueur le plus important de l’opinion publique sur la question de la justice et l’égalité pour le droit à la vie.
Mais quarante ans après, que reste-t-il de cette mémoire collective de combat ? Que reste-t-il à transmettre à la jeunesse ?
Le contexte est différent, les outils aussi, mais une chose est sûre : la nécessité de renouer le dialogue entre les générations est une urgence absolue pour retrouver le chemin du combat démocratique pour la justice, l’égalité et le droit à exister dans les quartiers populaires. Pour cela, il s’agit de s’unir collectivement pour ne pas subir individuellement.










(1) Le 17 octobre 1961, à Paris, entre cent et deux cents Algériens sont tués et jetés dans la Seine par des policiers lors d’une manifestation pacifique organisée par la fédération de France du FNL dans un contexte de guerre d’indépendance algérienne.

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