N° 732 | Le 2 décembre 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Il n’est pas facile de parler de façon synthétique des 700 CHRS que compte notre pays, tant ce dispositif disparate et complexe est lié aux particularités géographiques et associatives locales. Patrick Pelège y arrive néanmoins avec bonheur et intelligence. Il commence par évoquer le mouvement qui a porté l’aide sociale à l’hébergement du seul accueil des populations issues de l’hôpital, de la prison ou de la prostitution à l’élargissement aux victimes des processus complexes d’appauvrissement et de désinsertion qui sont venues grossir les rangs des exclus.
Mais l’auteur ne se contente pas d’une description précise, s’appuyant pour cela sur la monographie de six structures différentes qui permet de se représenter la diversité et la richesse des pratiques possibles. Il sait aussi porter un regard critique qui se veut acerbe et lucide. Quand il aborde la fonction hébergement, c’est pour dénoncer les grands internats qui subsistent encore et qui fonctionnent dans une logique totalitaire, confrontant les personnes accueillies à une promiscuité, un anonymat, l’absence de toute intimité, une infantilisation et un regard inquisitorial permanent. Mais c’est aussi pour souligner les efforts engagés par des institutions qui proposent un dispositif plus éclaté d’appartements ou de chambres d’hôtel. Quand il parle de la fonction d’accompagnement, c’est pour s’interroger sur ce qui relève parfois du contrôle et de l’obligation.
Heureusement, constate-t-il, les missions ne se limitent plus à « prescrire à l’usager un segment de son destin à l’intérieur des murs, mais de l’accompagner dans l’espace social banalisé » (p.40). La fonction économique de l’insertion quant à elle, se heurte à une exigence d’employabilité qui consiste trop souvent à exiger de l’usager qu’il soit déjà en puissance ce qu’il doit devenir (en l’occurrence : capable de s’insérer). Pour ce qui est de la fonction santé, l’auteur évoque la mutation qui a permis d’accueillir des malades mentaux, en pensant que le passage du statut de malade à celui de locataire permettait une valorisation telle qu’elle permettrait de masquer le stigmate de l’invalidité ou de la maladie. Et de s’interroger sur notre système culturel qui ne sait pas faire vivre ensemble les différences, sauf à les dissimuler pour qu’elles ressemblent au même.
Si l’ouvrage s’intéresse plus particulièrement aux CHRS, en incitant à réfléchir et à mettre en œuvre une démarche créatrice pour que ces établissements et services soient toujours plus des laboratoires redonnant confiance, estime, reconnaissance et potentialités, les propos tenus concernent plus largement le travail social. Ainsi de ce constat : enfermer l’autre, c’est aussi le considérer comme fondamentalement différent de soi, alors que ce dont il a besoin, ce n’est pas tant d’être compris que d’être reconnu dans sa radicale singularité.
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