N° 935 | Le 2 juillet 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Psychologue et psychanalyste, Marie Pezé a créé à Nanterre la première consultation psychologique consacrée au travail, qu’elle dirige encore aujourd’hui. Elle nous propose dans cet ouvrage toute une série de cas cliniques éclairés d’une réflexion conceptuelle d’une grande pertinence. Si son inspiration est bien freudienne, elle le reconnaît avec une grande honnêteté : pour utiles qu’elles soient « mes références théoriques de psychanalyste […] ne suffisent pas » (p. 20). Pire, « l’application stricte de mes théories et de ma pratique deviendrait une maltraitance supplémentaire » (p. 166).
Avec finesse et perspicacité, elle réussit à ne pas psychologiser une souffrance qui ne peut trouver sa principale source dans l’histoire infantile du sujet, mais qui se décline avant tout dans des modes d’organisation qui privilégient de plus en plus l’éclatement géographique des équipes, le travail à flux tendu, l’accélération du rythme de travail, la fixation d’objectifs inatteignables propres à culpabiliser celui qui ne peut jamais les atteindre, l’effacement entre la vie privée et la vie professionnelle, la disparition des temps de pause, l’humiliation des agents, la destruction des savoir-faire et des identités de métier, etc. Certes, son premier réflexe reste encore d’identifier chez les patients qui lui sont adressés d’éventuels signes d’aliénation mentale : discordances dans le récit, tonalité délirante, interprétation paranoïaque de type persécutoire.
Mais, il s’agit surtout de capter au travers de ce qu’ils racontent le type d’organisation du travail auquel ils sont soumis et qui a pu amener l’effondrement maniaco-dépressif, avec son cortège d’hyper vigilance, de surinvestissement et d’activisme défensif, de troubles du sommeil, d’angoisse et de peur avant d’arriver à son poste. L’identification par Marie-France Hirigoyen des mécanismes du harcèlement moral au travail a constitué une étape importante dans la compréhension de la souffrance des salariés, explique encore Marie Pezé.
Mais on ne peut se contenter, rajoute-t-elle, d’étudier la nature des acteurs en présence, la perversité des uns et la fragilité des autres. Il faut aussi prendre en compte les contraintes cognitives, la dé-subjectivation et la déshumanisation qui provoquent la surcharge du fonctionnement à la fois mental, pulsionnel et organique. La multiplication du nombre des suicides n’est que la partie visible de l’iceberg. Sa base est constituée par cet hyperproductivisme qui fragilise le monde salarial. Et « prescrire des antalgiques et démarrer une psychothérapie avec un patient dans la précarité est illusoire. La stabilisation de la situation sociale est plus efficace que la prescription d’antidépresseurs et l’analyse de la névrose infantile » (p.96).
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