N° 1272 | Le 28 avril 2020 | Par Cécile Abbas, coordinatrice dispositif « Accueil pour tous » | Échos du terrain (accès libre)
Ce dispositif fonctionne depuis 2016, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, piloté et financé quasi-exclusivement par la Caisse d’allocation familiales. Un exemple à suivre ?
« Accueil pour tous » est né d’une coordination regroupant les principaux acteurs de la petite enfance et du médico-social. Dès le début, elle s’est donnée plusieurs objectifs. Réfléchir et mettre en place des actions spécifiques visant à faciliter l’accueil et l’inclusion d’enfants en grande difficulté (ou dans le champ du handicap) dans les crèches et accueils de loisirs. Créer des passerelles afin de favoriser un travail de qualité entre les différents partenaires. Promouvoir l’accompagnement de la première scolarisation. Assurer des formations et des temps d’analyses de pratique destinés aux professionnels accompagnants. Pourquoi ces orientations ? Nous connaissons l’importance pour le développement de l’enfant de dépister, et d’accompagner les difficultés le plus précocement possible, afin de permettre un épanouissement le plus harmonieux et d’éviter une aggravation des troubles. La plasticité cérébrale avant 3 ans est une réelle opportunité dans leur prise en charge le plus en amont possible. Et un tel travail autour de la première socialisation est essentiel pour celles et ceux en contact avec la petite enfance. Il per- met aux familles ce soutien si indispensable pour que l’accueil se réalise et soit une réussite, facilitant notamment les transitions entre la crèche et l’école et entre les différents centres de soins. Il donne aux équipes la possibilité d’avoir les informations nécessaires aux adaptations nécessaires. Il garantit enfin aux enfants de pouvoir bénéficier d’une attention toute particulière à leur parcours global, en recevant des réponses au plus près de leurs besoins. Ce dispositif a permis une réelle prise en compte des besoins spécifiques précoces. La focalisation sur les jeunes enfants en crèche a donné l’opportunité d’orienter très tôt une trentaine d’enfants vers des consultations spécialisées : soit le CAMSP, soit en libéral. Cela n’a pu être rendue possible que grâce à des temps d’observations, d’échanges avec les équipes, des temps de formations autour des signes d’alertes proposés aux professionnels.
Mais, le dispositif « Accueil pour tous » s’est aussi avéré un formidable accélérateur d’inclusion. Dans les prémices de cette démarche, et encore actuellement, un travail d’information des structures a été nécessaire pour la coconstruire. Ce travail partenarial a permis, et permet encore aujourd’hui, d’aller vers des accueils qui s’adaptent aux besoins des enfants, avec des propositions d’aménagements, véritables prérequis nécessaires à cette inclusion, à l’émergence d’interactions, et à un éveil global.
Prenons le secteur de Ma nos que. C’est une centaine d’enfants de moins de six ans qui a ainsi pu bénéficier de cette inclusion. C’est l’éducatrice spécialisée du centre d’action médico-social (CAMSP) qui oriente les familles vers les structures de socialisation de droit commun. À l’exemple de la crèche multi-accueil dont la Directrice témoigne : « Ces enfants sont accompagnés avec une réelle réflexion autour de leurs besoins, les équipes sont davantage formées et partie prenante du projet ». Mais, aussi, le Centre de Loisirs qui a vu le nombre d’enfants en situation de handicap passer de quasi nul à une quinzaine chaque mercredi et vacance scolaire. Nora, éducatrice de jeunes enfants (EJE) qui y travaille le constate : « les troubles et le comportement de certains enfants nécessitent un accompagnement individualisé dans la collectivité. Sans cet accompagnement, c’est la qualité de l’accueil de l’enfant en difficulté mais aussi celui des autres enfants qui seraient compromis. Nous sommes maintenant davantage en mesure d’accueillir des enfants et familles qui étaient jusque-là éloignés des propositions de loisirs ».
Mais, le dispositif permet aussi de préparer la scolarisation et de l’adapter réellement aux besoins : par des rencontres organisées entre la crèche, l’école et le centre de soin afin de trouver des pistes d’aménagement ; par l’occasion d’assurer des temps d’inclusions scolaires accompagnés par la professionnelle de la crèche ; par l’opportunité de mettre en place une passerelle crèche/école, en lien avec les besoins de l’enfant. À ce jour, ce « sur mesure » a permis à certains enfants d’être accueillis en Établissement pour Enfant et adolescents Polyhandicapés (EEAP), de poursuivre des temps de crèche ou d’être accueillis sur des temps repérés dans leur école. Les familles nous témoignent du positif de ces aménagements et se sentent rassurées par la mise en œuvre de ce « tuilage ».
Pour les parents de Pierre trois ans et demi, c’est un soulagement de pouvoir maintenir des temps de crèche après l’entrée de leur fils à l’EEAP, celui-ci évoluant ainsi aux côtés d’enfants sans difficultés, dans un contexte qui encourage la relation avec ses pairs.
Même constat pour les parents de Mathis que nous avons accompagné pour faire évoluer le projet de leur enfant de la crèche vers l’école, avec l’accompagnement d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS) et l’EEAP. Ces périodes d’école sont voulues comme des temps de socialisa- Ces périodes d’école sont voulues comme des temps de socialisation, sachant que les attendus autour des apprentissages ne sont pas la priorité pour des enfants avec de telles difficultés.
Pour Lila, trois ans, porteuse d’un syndrome génétique, la crèche est un lieu de socialisation certain où elle peut faire des expériences relationnelles. L’imitation de ses pairs a été un formidable moteur dans son évolution et l’émergence de ses intérêts. Louise, auxiliaire de puériculture qui l’accompagne dans le cadre du dispositif, et depuis le début de sa socialisation, s’ajuste à ses besoins qui évoluent : Lila était très entravée sur le plan moteur global et dans la communication. La professionnelle à ses côtés a su lui faire des propositions adaptées à ses besoins : ajustements pour conforter son éveil psychomoteur, communication augmentative avec des signes et images pour favoriser sa compréhension et sa communication et donc ses interactions. Louise est elle-même soutenue, guidée dans son accompagnement par la coordinatrice, par les formations proposées (notamment autour des outils augmentatifs de communication proposés par une formatrice Orthophoniste) ou par des temps d’échanges et d’analyse des pratiques proposés par le dispositif.
Ces quatre années de fonctionnement du dispositif nous permettent de dresser un bilan plus que positif, à la faveur des enfants suivis, des familles mais aussi du travail de qualité développé avec le réseau. Nous sommes convaincus du bien-fondé d’une intervention précoce, ajustée et cohérente autour de l’enfant et de sa famille. Cela passe nécessairement par des moyens supplémentaires alloués, pour soutenir les enfants et les équipes, et par des projets réfléchis avec les différents partenaires impliqués dans la petite enfance. Un enfant évolue dans différents espaces de socialisation, il est important qu’il y soit accompagné, soutenu, que des ponts se créent entre les lieux qu’il fréquente et qu’il y retrouve les outils communs qui le soutiennent. Nous souhaitons vivement que ce modèle, développé dans les Alpes de Haute-Provence ces dernières années, alliant le financement de la CAF, des collectivités et des structures et l’expertise des professionnels de la petite enfance et du milieu spécialisé, s’étende à d’autres territoires, ceci afin de faire avancer la question de l’intervention précoce et de l’inclusion.