N° 854 | Le 27 septembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
J’ai mal à ma France. Témoignage d’un grand frère
Amad Ly - entretien avec Marion Gay
Une armée de spécialistes s’est penchée sur les événements de novembre 2005. Leurs analyses sont tout à fait essentielles. Pour autant, le point de vue des acteurs directs constitue une contribution tout aussi précieuse.
Amad Ly est de ceux-là. Arrivé en France, en 1983, pour rejoindre son père venu quelques années plus tôt pour répondre à la demande de main- d’œuvre immigrée, il porte un regard rempli de tendresse sur son enfance. Rencontre marquante avec un instituteur qui croit en lui, vit dans les HLM de Montfermeil où les pannes d’ascenseur ne sont pas que des désagréments (les femmes enceintes et les personnes âgées avaient toujours une petite pièce pour les enfants qui les aidaient à porter leurs sacs à l’étage), mais aussi confrontation avec la loi des cités : « Si tu es trop gentil, tu te fais marcher sur les pieds et tu deviens un mouton au milieu des loups » (p.33).
Mais, ce n’est pas que la jungle ! Ainsi de cette expédition dans un supermarché : remplir un caddie de couches, de riz, de purée, d’huile et de pâtes, sans les payer… pour remplir les placards vides d’une famille dans la galère. Amad Ly s’est taillé une réputation de bagarreur, mais aussi de gentillesse et de droiture. Il est orienté contre son gré vers un métier qu’il n’a pas choisi. Il s’accroche néanmoins à ce projet et devient apprenti boulanger. Il est bientôt remercié : un noir fabriquant du pain, ça ne passe pas dans la clientèle ! La révolte le taraude. Il se fait délinquant : « J’aurais parfois mérité un bon passage case prison. Mais les keufs me coinçaient toujours quand je n’étais pas en tort. Et quand je l’avais bien mérité, il n’y avait personne. Personne pour me punir. Personne pour me rappeler la loi » (p.60).
N’en pouvant plus de se réveiller à six heures du matin en panique et en sueur par peur d’une perquisition, il décide d’arrêter le business. En 2005, il est aux premières loges des émeutes. Il va à la rencontre des petits qui caillassent et brûlent. Pas de morale, ni de jugement moral, juste le dialogue. Pour Amad Ly, ce sont les parents et les médiateurs qui ont permis le retour au calme. Le 20 décembre 2005, il crée ADM (« au-delà des mots ») pour soutenir financièrement et moralement les familles des victimes de la bavure policière. Marche silencieuse, tournois sportif, rencontre avec Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur… Aujourd’hui, Amad Ly est médiateur pour la mairie de Clichy-sous-Bois et est entré en formation d’éducateur. Que la banlieue puisse bénéficier d’accompagnateurs de cette trempe, c’est tout le malheur qu’on lui souhaite.
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