N° 1309 | Le 18 janvier 2022 | Par JCB, référente de l’Aide Sociale à l’enfance | Espace du lecteur (accès libre)
Aujourd’hui, j’ai l’impression de faire constamment des puzzles… De remplir un trou, dès qu’il y en a un. Peu importe que la pièce soit trop petite, trop grande, n’ait pas la bonne forme, qu’elle soit minuscule et fragile ou complexe. Il faut lui trouver une place à cette pièce. Quitte à forcer pour la faire rentrer dans un trou, bien qu’elle ne soit pas adaptée. On pousse les bords, on écrase la pièce, on force. On empile même des pièces sur d’autres pièces… Créant ainsi une pyramide prête à s’effondrer, emportant les pièces, voire le puzzle en entier sur son passage… Il y a des pièces qui attendent toute une journée ou plus sur le coin d’un bureau, sans savoir si nous lui trouverons une place où passer la nuit… Des pièces qu’on déplace sans cesse, jours après jours… Des pièces qu’on oublie…
Le problème, c’est que ces pièces de puzzles s’appellent Louis, Théo, Jason, Sheryne, Kenza ou autre, que ce ne sont pas des pièces, mais des enfants. Des enfants, d’à peine quelques mois, de 6, 12 ou 15 ans. Ils sont traités comme des objets qu’on place et qu’on déplace. Le problème, c’est que ces derniers temps, ces situations sont de plus en plus fréquentes et nombreuses et ne concernent plus les situations dites « complexes ». Le problème est que je suis référent à l’Aide Sociale à l’Enfance, que je représente la protection de l’enfance et que dans ces conditions, je ne pense ni aider, ni protéger les enfants qui nous sont confiés.
Auparavant, je ne faisais pas de puzzle. Je tissais. Je tissais du lien avec ces enfants, avec leurs parents, leurs lieux d’accueil et les partenaires. Je tissais avec eux un projet pour que l’enfant puisse grandir et s’épanouir.
Mais aujourd’hui, faute de temps, de moyens, je ne tisse plus. Aujourd’hui, je fais des puzzles.
Et je déteste ça.