N° 1278 | Le 1er septembre 2020 | Par Angélique F., psychologue pour tous les enfants, virus ou non | Espace du lecteur (accès libre)
Pour L., 5 ans.
La Peste rôde toujours sur nos villes.
On a mis sur le bûcher les vieux, les handicapés, les enfants qui n’ont plus de parents et dont personne ne veut, les enfants placés. Les enfants victimes de violence ont été abandonnés avec leur bourreau. Peut-être pour faire un peu plus de place sur la Terre, qui sait ? Et puis, dans tout ce chaos, il y a nos jolis mômes. Qui va les sauver ? Qui va préserver leur innocence ? Leur insouciance ?
Mon cœur de psychologue pour enfants battait très fort à l’idée de revoir mes petit·e·s patient·e·s et puis, il s’est fendu lorsque nous nous sommes revu·e·s.
Ma chère petite patiente, je ne veux pas que tu portes un masque qui t’empêche de bien respirer et de me raconter avec émotion·s et entrain ce que tu vis.
Je ne veux pas que tu aies peur de t’approcher de moi pour me montrer avec fierté le dessin sur lequel tu t’es si soigneusement appliquée.
Je ne veux pas que tu grandisses trop vite en voulant nouer tes lacets toute seule alors que c’est difficile, car tu as appris par cœur que tu n’avais pas le droit de t’approcher de moi à moins d’un mètre et que nous n’avions pas le droit, non plus, de toucher le même objet.
Je ne veux pas que tu nettoies le bureau sur lequel nous nous sommes installées, pour me protéger, car tu sais que les enfants peuvent être porteurs et contagieux d’un virus qui fait peur parce qu’il rend malade et peut tuer les gens que tu aimes. Je ne veux pas que tu penses que c’est ta faute si un jour cela se produit.
Je ne veux pas que tu penses que tu fais peur aux gens lorsque les mamies et les papis changent de trottoir lorsqu’ils te croisent. Ils sont très âgés tu sais, ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils n’ont pas conscience qu’ils blessent ton petit cœur d’enfant.
Je ne veux pas que tu restes seule avec tes angoisses, tes peurs, tes inquiétudes parce que certains professionnels, dont c’est le métier d’essayer de rendre les enfants les plus heureux possibles, ne veulent pas te rencontrer car ils ont peur d’attraper le virus.
Je ne veux pas que tu regardes les enfants de la famille voisine jouer ensemble, seule, depuis ton jardin.
Je ne veux pas que tu joues seule dans la cour de récréation, dans ta minuscule geôle, délimitée par de la craie ou un cerceau déposé au sol.
Je ne veux pas que tes jeux d’enfants, si chers à ton cœur et nécessaires à ton bon développement soient une mascarade.
Je ne veux pas que ce virus te fasse peur. Le virus est le souci des adultes, c’est leur rôle de te protéger.
Je ne veux pas que tu aies peur, au point de ne plus pouvoir sortir de chez toi.
Je veux revoir ton sourire, comme lorsque le lien entre nous s’était créé.
Je veux que tu puisses emmener ton doudou, avec toi, pour le serrer contre ton cœur, si tu en ressens le besoin, à l’école, où tout n’est plus qu’hyper vigilance et dénaturation des relations humaines.
Je veux que tu puisses recevoir l’aide et le réconfort dont tu as besoin lorsque tu n’es pas à la maison.
Je veux que tu puisses jouer et continuer à développer ta merveilleuse intelligence, imagination et créativité.
Je veux que tu continues à faire l’expérience de l’amitié et des amours enfantines.
Je ne veux pas que ton enfance soit bafouée, maltraitée pour de mauvaises raisons qui n’appartiennent qu’aux adultes.
Je ne veux pas que tu grandisses avec l’idée que tu peux être un danger pour l’autre, que tu doives t’isoler, te priver de tout contact physique et affectif, pour des questions d’argent.
Je ne veux pas qu’un jour tu rentres à la maison et que tu demandes l’autorisation à tes parents de les enlacer avec tout l’amour que tu leur portes.
Comment ton petit cœur d’enfant survivra-t-il ?