N° 845 | Le 21 juin 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Qu’ils soient diabolisés ou victimisés, les jeunes de la cité sont souvent renvoyés à une entité supposée homogène surdéterminée par la précarité et la déviance. Pour l’auteur, il s’agit là d’une vision simpliste et réductrice. Certes, les « trente piteuses » marquent une rupture avec les « trente glorieuses » : installation d’un chômage structurel, précarisation des contrats de travail, montée de la marginalisation et de l’exclusion, désyndicalisation et dépolitisation, concentration des plus pauvres dans des cités HLM de plus en plus dégradées, diffusion de la vente et de la consommation de stupéfiants, montée de la xénophobie, hausse des conflits interpersonnels et repli sur la sphère domestique…
Autant les années 1950/1980 ont été marquées par une rapide progression des actes de prédation sur les biens, autant la période 1980/2000 s’est fait remarquer par un accroissement des agressions contre les personnes et les institutions. Toutefois, il existe autant de banlieues tranquilles qu’il en existe qui défrayent la chronique. Ainsi de Marseille, où l’absence d’émeutes est souvent reliée à la présence apaisante de la mer. D’autres facteurs sont tout aussi primordiaux, comme l’important maillage associatif existant sur les quartiers ou encore la relative faiblesse de la ségrégation entre le centre et la périphérie.
En outre, neuf fois sur dix, on n’est pas un « jeune de cité » quand on est jeune et qu’on habite la cité. La plupart d’entre eux ont opté pour l’invisibilité, cherchant à se démarquer du reste de la population en limitant au strict nécessaire leur présence dans l’espace public. Ceux qui ont investi la rue en y concentrant leurs réseaux relationnels, familiaux, amicaux, amoureux et professionnels sont souvent issus des familles les plus démunies. S’ils fuient le foyer familial, c’est qu’il est fréquemment matricentré et qu’ils vont chercher un lieu refuge où ils pourront trouver des modèles structurants. Ils y découvrent la jalousie, l’envie, le manque et la frustration à l’origine de rivalités et de conflits qui donnent au quotidien un caractère imprévisible et chaotique. La jouissance éphémère s’y préfère à une vie de privation. L’existence n’ayant que peu de valeur, tout est bon pour l’éprouver. L’investissement scolaire se prête mal à cette fascination pour les valeurs privilégiées par le groupe que sont la force et le courage physique. « Dans les rues des quartiers pauvres, les meurtrissures de l’âge adulte arrivent vite, mais les bénéfices du statut adulte tardent à se manifester, s’ils surviennent un jour » (p.181).
Comment réussir à pacifier notre société dans un contexte où le matérialisme effréné au marketing de plus en plus ciblé côtoie l’explosion des inégalités matérielles ? Rien d’étonnant donc à ce qu’aux jacqueries paysannes et aux révoltes ouvrières, aient succédé les émeutes des banlieues. Ce dont ces jeunes ont le plus besoin, ce n’est pas de la possibilité de s’élever dans un système méritocratique, mais d’une justice économique pour chacun.
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