N° 738 | Le 27 janvier 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Tout débute en décembre 2000, par une sordide affaire d’inceste : quatre frères révèlent les « manières » dont ils sont victimes de la part de leurs propres parents. Leur mère avoue assez rapidement. Elle va même au-delà, confirmant les accusations tous azimuts portées par ses enfants contre d’autres adultes : des voisins, des commerçants, des proches et même des personnes qu’elle ne connaît pas. Fabrice Burgaud, jeune juge d’instruction frais émoulu de l’école de la magistrature se fait très vite sa conviction : il vient de mettre la main sur un véritable réseau pédophile impliquant 17 enfants. C’est 17 mises en examen qui s’ensuivent pour agression sexuelle, actes de barbarie, corruption de mineur et meurtre. La plupart des mis en cause sont incarcérés.
Le 4 mai 2004, quand s’ouvrent les débats de la Cour d’assise du Pas-de-Calais, les accusés apparaissent définitivement comme des monstres. Et puis ce qui devait apparaître comme un procès exemplaire va se transformer, au fil des jours, en véritable désastre judiciaire. Car, si les quatre principaux agresseurs reconnaissent leur culpabilité, ils vont disculper leurs treize coaccusés. Le dossier de l’accusation s’effondre chaque jour un peu plus. Le 2 juillet, le verdict tombe : 7 acquittements et 10 condamnations (6 condamnés feront appel, continuant à crier leur innocence). Que s’est-il donc passé ? Il y a d’abord un dossier d’instruction mené en dépit du bon sens, seulement à charge (alors qu’il doit tout autant être mené à décharge). Des enquêteurs ensuite, non formés au recueil de la parole de l’enfant qui ont refusé de porter le moindre regard critique sur des témoignages, parfois pourtant frappés d’incohérence : la parole fragile et variable de gamins détruits et ravagés par ce qu’ils avaient subi, a été sacralisée. N’y avait-il pas aussi un désir chez ces enfants de noyer la responsabilité de leurs parents, en multipliant le nombre de personnes dénoncées ?
Des experts psychologues ensuite qui ont joué un rôle central en établissant la crédibilité des dénonciations (qu’elles viennent des enfants ou de leur mère). « Pour se reconstruire, l’enfant a besoin d’un substitut paternel, la justice, et du substitut maternel, le thérapeute, c’est la triangulation thérapeutique. Sa reconstruction passe par la reconnaissance de son statut de victime par la Cour d’assise. Sinon, il est condamné à vie » affirmera même l’une d’entre elles, en plein procès. « Il n’y a pas de place pour le doute, lui réplique un avocat, vous êtes dans la certitude »… « un peu comme si son matériau n’était pas l’humain, mais un neutron sans âme et que la psychologie soit une science égale en fiabilité à la physique nucléaire », rajoute le journaliste. Tant d’années de prison préventive, tant de nuits d’angoisse, tant de vies brisées… pour s’apercevoir qu’on est allé trop vite, qu’on a détruit des innocents et qu’on a décrédibilisé une certaine justice !
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