N° 814 | Le 26 octobre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’auteur l’annonce d’emblée : son livre nous parle des 85 % d’adolescents qui vont bien. On n’a pourtant l’habitude trop souvent d’évoquer cet âge de la vie qu’à partir de comportements négatifs : gaucherie, rougissements, honte, intransigeances, égoïsme, instabilité, toute-puissance… Ce qui est étonnant, c’est que l’on aie ainsi naturalisé les caractéristiques d’une classe d’âge qui est loin d’exister partout. Pour 87 % du 1,2 milliard d’habitants de notre terre âgés de moins de 25 ans, le passage de l’enfance au monde adulte est sans transition, tant il leur faut travailler tôt pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ils n’ont donc guère le temps de ressentir les affres dont on affuble les 8 millions de 11-20 ans (5 millions de 11-17 ans) de notre pays. A écouter la psychanalyse qui a largement contribué à généraliser ces thèses, ils seraient tous confrontés à une poussée d’agressivité qui se traduiraient par un retour des tendances orales (voracité) et anales (saleté et désordre).
D’autres hypothèses permettent tout autant d’expliquer ces conflits familiaux : la promiscuité qui se prolonge tardivement (un quart des ados vit jusqu’à 25 ans dans sa famille) et qui ne peut que provoquer des frictions, la disparition des rites d’intégration qui laisse la jeunesse dans le flou quant à son intégration effective au monde adulte, l’altercation entre un adolescent qui se situe sur la pente ascendante et ses parents qui sont eux sur une pente descendante, le sentiment de propriété qu’éprouvent ces derniers à l’égard de leur enfant et leur difficulté à accepter son autonomisation grandissante, l’affirmation de sa personnalité et de ses opinions… Bien sûr, cette époque de la vie n’est pas exempte de difficultés. Mais, celles-ci ne sont qu’une étape supplémentaire dans une évolution qui a vu la crise de la naissance, puis celles respectivement des premières dents (6 mois), du sevrage (6-10 mois), de la marche (18 mois), des premiers contacts sociaux (3-4 ans), de la raison (7-8 ans) et qui verra celle de la mise en couple, de l’âge mûr (mi-temps), du départ des enfants, du départ à la retraite (troisième âge), de l’arrivée en établissement (quatrième âge)…
Michel Fize le crie haut et fort : l’adolescence n’est pas un état pathologique, c’est un sentiment neuf, une conscience plus aiguë de soi-même et des autres. Elle est riche de passions, de désirs et d’appétits. Elle raisonne davantage, use de concepts, manifeste des qualités d’esprit, manie l’abstraction avec bonheur… « Adolescence rime avec insolence ! Mais puberté rime avec beauté et qui le dit ? » Finalement, malgré tous les efforts pour s’en convaincre, il n’est pas facile d’accepter que l’adolescent soit une personne à part entière qui n’appartient qu’à elle-même. Il faut se purger, conclut l’auteur, du désir d’exercer une influence déterminante sur lui. Notre mission est bien d’accepter sa personnalité qui s’affirme sans en contrarier le libre développement.
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