N° 840 | Le 10 mai 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Notre pays a peur de ses adolescents délinquants. Pendant longtemps, les considérant comme des enfants pervers, inéducables, inaffectifs et surtout incapables de s’amender, il les a relégués dans des bagnes et autres colonies pénitentiaires. L’action engagée à partir de 1945 et qui visait à leur éducation a porté ses fruits. Et puis, quand la machine à intégrer est tombée en panne et que l’emploi n’est plus venu absorber les jeunes trublions, on est progressivement passé de 13 500 mineurs concernés par la justice en 1954 à plus de 100 000 aujourd’hui. Face à cette vague, beaucoup veulent en découdre avec eux sans essayer de les comprendre. « Jamais depuis un demi-siècle la volonté des pouvoirs publics n’a été aussi aveuglément répressive envers les jeunes délinquants » (p.143). Les jeunes de banlieues ont eux aussi peur de la vie que notre société leur a tricotée.
Bernard Ollivier décrit l’enfermement dans des ghettos, la stigmatisation par une presse instrumentalisée, le harcèlement de la police, une répression de plus en plus féroce autant qu’inefficace… Les sommes faramineuses consacrées à la création des établissement pénitentiaires pour mineurs manquent à l’action préventive. Ainsi le calcul a été fait du coût de construction de 60 cellules qui équivaut à la prise en charge en milieu ouvert de 1 200 jeunes durant huit ans ! Ceux qu’on incarcère sont avant tout des victimes brutalisées par la vie, privées d’amour ou confrontées à un trop plein étouffant dans leur famille, abandonnées par les adultes. Quand ils sortent de prison, ce sont soit des loques qu’on a brisées, soit des caïds pleins de haine. La récidive concerne 90 % d’entre eux. Pourtant, en les écoutant, on peut entrouvrir la carapace qu’ils se sont fabriquée pour se protéger des tourments. En leur tendant la main, on peut réveiller l’enfant recroquevillé en chacun de ces voyous.
Bernard Ollivier n’est pas un doux rêveur. En 1999 et 2000, il suit à pied la route de la soie, sur 6000 kilomètres. À son retour, il crée une association pour offrir à de jeunes délinquants volontaires une dernière chance pour se réinsérer. L’association Seuil leur propose une marche de 2000 kilomètres à l’étranger. Les adolescents aux existences fracassées ont le choix entre deux attitudes : se victimiser ou se battre. Une telle marche est un pari fou, comme celui qu’ils pratiquent quotidiennement en transgressant les lois et en risquant l’incarcération. Accompagné par un adulte solide et fiable, le jeune est alors face à la panique qu’implique l’inconnu et au délicieux frisson du danger. Il découvre qu’il est capable du meilleur comme du pire : « Je suis parti, j’étais un blaireau, je suis revenu en héros ». Il se constate capable de dépasser ses limites physiques, de dominer ses peurs de fuite, de juguler ses colères et de résister à la pulsion. La démonstration est faite : la prison n’est pas la seule solution !
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