N° 1334 | Le 28 février 2023 | Par Justine et Guilhem, de la compagnie Clown en route | Espace du lecteur (accès libre)

L’ambassadeur

Thèmes : Théâtre, Handicapés

Mr Raphaël André Julien nous a quitté au mois d’octobre 2022. Jusqu’au bout du bout Raphaël a bataillé « bien qu’échoué de sa force à vivre ».

Son visage obscur était parfois traversé, teinté d’une lumière douce avenante, malgré les étranges machines spatiales distillant des sons et des lumières aux chorégraphies inquiétantes. Avec sa bouche obstruée d’une cohorte de tuyaux, ses lèvres en toboggan nous glissaient avec détermination des filets de signaux de Vie qui probablement vibreront longtemps et feront cesser ou pas les râles de sa souffrance, de se retrouver tétraplégique suite à des possibles complications postopératoires…
Peut-être Raphaël avait-il cultivé cette résistance à Vivre, à se battre durant ses cinq premières années. Abandonné à sa naissance il a vagabondé de familles d’accueil en hôpitaux… Avant d’être accueilli et adopté par une famille nombreuse, où il a trouvé toute sa place et la possibilité d’explorer ses ressources, les transmettre, s’ouvrir à celles des autres quand cela lui a été possible de les exprimer. Ce qui parfois il faut bien le dire a été complexe au gré des institutions qu’il a parcourues. En effet, être essentiellement réduit à sa pathologie de trisomique/psychotique ne donne pas confiance à oser dire. Certes, parfois, il pouvait s’exprimer mais de là à être écouté, le pas est immense. Heureusement, son socle familial, ses amis, son dernier lieu de vie (le foyer de l’Arche en Agenais) et les Clownenroute lui ont toujours permis de cultiver son humour, son sens de la convivialité de la tolérance, et son enthousiasme à proposer des actions aux équipes de professionnels et à ses collègues.
Lectrices, lecteurs vous en connaissez-vous aussi des personnes comme Raphaël ?
C’est bien à partir de celles-ci que nous trouvons du sens à être professionnels, à les accompagner, à être accompagné.
Des plus grands on retient surtout le bruit qu’ils ont fait ou les édifices qu’ils ont construits.
Tel porteur de projet ou directeur engagé a su défendre des valeurs et mener des projets avec brio et convictions.
C’est fort probable que l’on se souvienne de ces belles personnes qui savent si bien construire du sens et du collectif, à travers des dispositifs créatifs et innovants !
Dans le domaine du médicosocial, du social, il est souvent question de la rencontre avec l’autre, de la différence, la tolérance et une volonté inclusive… dernière pépite d’un monde en soif d’humanité.
Les personnes qui viennent de ce que nous appelons «  le Monde ordinaire  » s’exercent donc à aller à la rencontre de l’autre… du différent de soi… pour lui laisser de la place… L’accepter…
Lorsqu’on a eu la chance de rencontrer des personnes comme Raphaël on s’aperçoit d’une toute autre mécanique.
Pour certaines personnes, accueillir la différence de l’autre, lui ouvrir les portes de son intérieur c’est vivre… simplement vivre… comme respirer.
Ce qui est ordinaire c’est la douceur. Ce qui prévaut à toute chose c’est la disponibilité à l’autre. Il ne s’agit plus de réfléchir à sa posture, de chercher le contact…
Il s’agit simplement d’être là… de vivre et de respirer… En miroir avec l’autre… épaule contre épaule… nez contre nez…
Ça a l’air simple comme ça mais il s’agit d’une réelle gymnastique.
Il faut contorsionner ce que l’on connaît trop bien, assouplir quelques craintes du regard des autres, lever au ciel les jambes tendues de nos peurs et de nos doutes…
Raphaël a été le plus doux et intransigeant des coachs.
Il est le fondateur d’une pédagogie et d’un art de l’accueil et de l’amour.
Un regard… une main sur l’épaule… un sourire malin et quelques pas de danse, au bon moment…
Vas-y !
Coach…
Fondateur…
Et puis tout naturellement…
Ambassadeur !
Parce qu’être gentil, c’est bien.
Avoir le cœur sur la main, c’est beau.
Mais se saisir des opportunités de la vie et des propositions pour s’exprimer et militer pour la rencontre, la sincérité et la parole c’est vital.
Entendons bien que pour que cela soit possible, il est nécessaire de le permettre. Que cela soit une option. Que la famille et l’institution avec un grand i le proposent…
Que la parole avec un grand P soit donnée à des êtres, des sujets qui bafouillent et «  gremellottent  ».
Que cette parole soit entendue… prise en compte… et soutenue !
Que les silences soient compris et acceptés.
Que le corps trouve un espace pour danser et dessiner des langages aux mille couleurs.
Raphaël et certains de ses pairs militants à Clownenroute ou dans d’autres institutions et/ou associations, sont les incontestables ambassadeurs du «  vivre ensemble  » parce qu’ils ont su gravir les ponts.
Prendre des risques, se surpasser, s’envoler…
Une danse choisie et voulue qui transcende les attendus et terrassent l’immuable.
Humblement, sans secrets mais laissant pourtant à l’autre un étrange et agréable sentiment de ne pas tout comprendre… de ne pas maîtriser.
Humblement…
Il n’y a pas besoin de législation pour se lâcher prise, bien au contraire il faut considérer ces personnes singulières comme personnes-ressources de notre action !
Sommes-nous nombreux à le savoir ???