N° 1328 | Le 29 novembre 2022 | Par Lionelle Giraud, autiste à temps plein, éducatrice et thérapeute | Espace du lecteur (accès libre)
Je vais parler d’autisme, sans oublier mes camarades neuro-atypiques qui rencontrent des difficultés pour s’exprimer. J’écris aussi pour eux.
L’autisme est un sujet à traiter avec des pincettes, de la finesse, de la rigueur, de la modestie ou de l’arrogance. Tout dépend du temps et du vent, du énième Plan Autisme (le 5e fin 2022) et des recommandations de bonnes pratiques qui sont déterminées par le gouvernement ainsi que par des experts. Les agences régionales de santé suivront à grand renfort de médiatisation. Elles annonceront une amélioration des prises en charges dans les lieux éducatifs, pédagogiques, sociaux, médico-sociaux etc. Et, ce sera dans une indifférence quasi générale, mais toujours accompagnée d’une communication grandiose et éloquente, que des décisions seront prises au sommet. Inutile de préciser qu’aucune personne autiste ne sera conviée à l’élaboration des nouvelles réglementations. Demander à des personnes concernées par un Trouble du spectre de l’autisme de s’exprimer ? Quelle drôle d’idée !
Une « troublée du spectre de l’autisme » prend la parole
Pour parler d’autisme, une certaine culture du sujet est exigée et nécessaire. Car le thème est encore complexe et réservé à une élite dite intellectuelle et compétente. Tu m’étonnes ! Pour beaucoup d’autres raisons que tous les professionnels de terrain connaissent, et si on ne tient pas à faire dans la « langue de bois », il vaut mieux connaître son sujet, respecter certains codes, se faire petit devant des « gradés », éviter certains regards et être en capacité de supporter les retours de bâton. Les métiers du médico-social ont aussi leurs mandarins. Alors, pour s’affirmer en face des « intellos du cynisme », il est conseillé d’avoir les reins solides et le mental qui va avec.
Mais, revenons au terrain : l’engagement et le professionnalisme des travailleurs sociaux sont souvent mis à rude épreuve. Et il n’est pas facile de sortir gagnant de la bataille. Car, étrangement, l’autisme fait peur, autant qu’il attire. Je vous rappelle au passage que nos politiques se font toujours une joie de mener campagne (présidentielle et autres), en se proclamant en faveur de la lutte pour les personnes autistes. C’est ainsi que chaque manipulation verbale et chaque effet d’annonce nous font espérer un meilleur. « Mes bien chers frères et sœurs, ne voyez-vous rien venir… ». Rajoutons à ceci des guéguerres de pensées et de chapelles dans le milieu de l’autisme, ainsi que des idéologies qui ont la peau dure, et, le plan est bien rodé, répétitif et sans effet. Anesthésie générale !
Il me semble juste de rappeler, qu’au milieu de ce temps perdu dans des blablas de circonstances, se trouvent la parole et le vécu des familles peu écoutées et trop peu entendues. Des années d’inaction dans les sphères pensantes et décideuses font perdre un temps fou aux personnes autistes. À ce jour, peu de choses ont avancé et les consciences peinent toujours à s’ouvrir car le « Narcisse » de certains et une carrière professionnelle prometteuse les empêchent de regarder à côté d’eux.
On ne badine pas avec l’autisme !
Certains professionnels engagés et enjoués comprennent rapidement qu’il va leur falloir courber l’échine devant le vide et le manque de formation. Pourtant dans nos professions, chacun sait que le meilleur reste toujours à venir, car l’espoir nous fait vivre et les actions nous feront persévérer. Cependant, c’est à leurs dépens qu’ils vont découvrir que l’urgence est là depuis longtemps et que rien ne bouge. Car, sur le terrain professionnel, il est question de maltraitance institutionnelle, de déni de réalité et d’abandon de personnes vulnérables !
Les professionnels en manque de formation et de savoir-être auprès des personnes autistes sont perdus. Sans support éducatif et souvent livrés à eux-mêmes, ils vont devoir se contenter de prises en charges inadaptées, voire inexistantes. Désemparés face à des comportements et des spécificités qu’ils ne connaissent pas, la lassitude et l’incompréhension vont s’emparer rapidement de leurs croyances éducatives. Et leurs bonnes volontés ne suffiront pas à sauver leurs pratiques.
C’est à partir de mes expériences professionnelles et de mon vécu que je me colle à l’exercice d’écrire sur l’autisme. Et j’ose avancer que les penseurs d’humanité sont souvent des personnes atypiques. Bienveillants, épris de liberté et de justice, humbles, empathiques, adeptes du langage sans filtre et de l’authenticité, courageux, hypersensibles, solitaires, mais aussi peu enclins à s’affirmer, pratiquant l’ermitage intérieur, privilégiant le silence et l’observation, passionnés, naïfs, communiquant et relationnant avec singularité, les « zatypiques ou les zotistes » cherchent sans cesse comment s’adapter à un monde qui ne leurs facilite pas le boulot.
La communication, un passe-temps pour neurotypiques ?
Pour avoir été longtemps une professionnelle de terrain, je dirais avec force et conviction que les formations à l’autisme devraient devenir une priorité. « Oyez les zéducateurs et les travailleurs sociaux : insistez auprès de vos directions pour être formés à l’accompagnement des personnes autistes ». Sans vous, rien n’est possible ! Pourtant, dans tous les milieux et en toutes circonstances, chacun d’entre-nous doit être considéré. Agissez contre le manque de volonté des pouvoirs publiques et la lenteur des décideurs. Car, l’inhumanité qui règne dans l’autisme n’est plus pensable !
L’éducation permet la connaissance, le discernement, l’acceptation et le vivre en société. Commençons par mieux former les professionnels. D’accord, les moyens financiers manquent et les possibilités de s’ouvrir à l’autisme et d’étayer des connaissances théoriques ne sont ni offertes, ni garanties. Et les professionnels tentent de faire au mieux avec les moyens du bord. Galvanisés par l’attirance quasi hypnotique que génère l’autisme, ils seront vite déstabilisés par l’ampleur des difficultés qu’ils vont rencontrer. En deux temps et trois mouvements, ils vont perdre pied et se noyer dans un océan d’incertitudes et de désespérance. Quoi de mieux pour repousser les bonnes volontés ! Or, c’est dans ces circonstances que l’abandon institutionnel va montrer son vrai visage. Tous seront mis à mal et le verdict sera sans appel. La maltraitance construira son nid et les oisillons n’apprendront pas à voler seuls.
Les personnes atypiques parlent vrai ; ce qui ne veut pas dire qu’elles parlent juste. Sans mauvaise intention, dénuées de toute condescendance et de jugement, elles ne cherchent ni à plaire ni à déplaire. Elles n’utilisent pas les formes consensuelles, les formules bien pensantes, les formatages d’idée ou les enseignements basiques du verbiage. Franc et direct, leur système de communication peut paraître condescendant, agressif ou dénué de tout affect. Ce n’est pourtant qu’une question de codes sociaux. « Yoooo, comment tu m’parles ? ».
Les choses de la vie sont aussi autistiques…
Car, comment dire sans blesser les susceptibilités des uns et des autres que j’écris pour informer ? Toutefois, le doute fait entièrement partie de ma vie et je ne cherche pas à moraliser mon propos. Je ne détiens aucune vérité ; juste un peu d’expérience et quelques constats. Cependant, je reste convaincue de la nécessité pour les professionnels de suivre des formations pour que les personnes autistes soient accompagnées avec respect et dignité. Pour créer du lien social et un meilleur vivre ensemble, la connaissance réciproque et les formations sont incontournables.