N° 702 | Le 25 mars 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un ouvrage qui ne se lit pas : il se dévore. L’intelligence et la pertinence du propos justifient pleinement qu’on aille, séance tenante, se le procurer. Qu’on en juge !
Nos sociétés ne vont pas très bien. On relie souvent ce mal-être à une école qui ne ferait pas son travail. Mais, un système éducatif ne peut être beaucoup plus vertueux que le système social dont il retire ses ressources. Et si les valeurs dominantes sont l’individualisme, l’exploitation de l’homme par l’homme, la compétition, la loi du plus fort (ou du plus instruit) et la sélection darwinienne des meilleurs, comment reprocher à l’école de reproduire de telles convictions ? Lui demander de travailler à la citoyenneté nécessiterait qu’elle réorganise ses priorités. Favoriser, par exemple, les sources d’autonomie, les capacités à s’exprimer et à négocier, multiplier les occasions d’exercer la démocratie et la responsabilité.
De nombreux enseignants seraient favorables à une telle option, mais à condition que cela n’enlève pas une minute au programme ! Mais que faut-il privilégier : des élèves ayant une large culture disciplinaire ou des sujets sachant manier couramment les méthodes de base du travail intellectuel (renforcer la lucidité et donner tant des habitudes que des outils qui aident à comprendre) ? Mais cela rend nécessaire un autre savoir-faire didactique, un autre contrat pédagogique, une autre gestion de la classe, une autre évaluation.
Bien loin de là, l’école qui prétend vouloir éduquer, passe son temps à instruire. Elle se contente d’enseigner des savoirs complètement décontextualisés dont on ne voit pas à quoi ils peuvent servir : l’enfant perd un temps infini à mémoriser des connaissances qu’il oublie très vite, du simple fait qu’elles ne sont mobilisées par aucune compétence essentielle. C’est encore et toujours la quantité des savoirs que l’on choisit au détriment de la qualité de leur assimilation. Changer l’école signifie modifier le rapport de force entre le seul et unique savoir d’un côté, et, de l’autre, un savoir au service de l’acquisition de ressources et d’un entraînement permettant de les mobiliser.
L’auteur se prononce pour l’allégement des connaissances (dont la possession ne garantit pas l’aptitude à savoir s’en servir), au profit de ces compétences qui ne s’enseignent pas, mais qui se construisent. Ce sont ces capacités à identifier, évaluer, faire valoir ses ressources, ses droits, ses limites et ses besoins, à conduire des projets et construire des stratégies, à analyser des situations, à savoir coopérer et travailler en synergie, à gérer et dépasser des conflits, à jouer avec les règles, s’en servir et apprendre à en élaborer. La socialisation et l’apprentissage du vivre ensemble — qui constituent l’une des missions de l’école — est une longue marche que n’ont intérêt à conduire à son terme que ceux qui ne sont pas sûrs d’être toujours vainqueurs.
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