N° 1338 | Le 25 avril 2023 | Par Olivier Maurel, co-fondateur de l’Observatoire de la Violence éducative Ordinaire (OVEO) (1) | Espace du lecteur (accès libre)

L’éducation positive est-elle nocive ?

Thèmes : Droits de l’enfant, Parentalité, Psychanalyse, Maltraitance, Psychologie

Ces derniers mois, de nombreux professionnels de la santé et de l’enfance ont dénoncé les dangers de ce qu’ils appellent « la parentalité exclusivement positive ». Que peut-on en penser ?

Les signataires d’une tribune parue sur le site du Figaro traitent, sans les nommer, les auteurs favorables à la parentalité positive d’«  experts autoproclamés  », comme s’ils ne fondaient leur conception de la parentalité que sur leurs propres élucubrations. Ce qu’ils remettent en cause, c’est la condamnation de toute punition ou fermeté et leur assimilation à une forme de violence, ce qui laisseraient les parents culpabilisés et sans recours face à des enfants ingérables. Et de valider, au contraire, le recours au time out (mise de l’enfant dans sa chambre) et au retrait de privilèges. Cette critique invite à s’interroger sur une particularité de la formation donnée dans la majorité des universités françaises aux étudiants en psychologie, psychiatrie et pédopsychiatrie.

Ce que la psychanalyse prétend

Dans ces disciplines, les étudiants subissent un long enseignement de la psychanalyse, le plus souvent sans aucun droit de la contester, imposant une vision très particulière de l’enfant présenté comme un «  pervers polymorphe  ». Il serait ainsi possédé, dès la naissance, de pulsions violentes d’inceste, de parricide, de mort, d’emprise, qui, si elles n’étaient pas rigoureusement et sévèrement contenues par ses parents, pourraient faire de lui un dangereux psychopathe.
Depuis que cette théorie a été énoncée par Freud, on en a arrondi les angles pour la rendre compatible avec la vision plus positive de l’enfant issue des recherches sur son développement. Mais on la retrouve dans le vocabulaire de celles et ceux qui ont subi cette formation pendant des années : «  pulsions  », «  toute-puissance infantile  », «  narcissisme  », «  frustrations  »
Ainsi, la défense du time out et de l’autorité parentale, loin d’être objective, s’appuie en réalité sur une vision pessimiste de l’enfant. Et cette vision n’a rien de nouveau. Elle se rattache en fait à une tradition très ancienne où l’on considérait comme normal et pédagogique de battre les enfants, parce qu’on pensait qu’ils naissaient mauvais par nature. On les présentait tantôt comme des plantes à la croissance tordue qu’il fallait redresser par la force, comme des animaux à dresser, ou encore comme des créatures marquées par le péché originel. Dans tous les cas, ils avaient besoin d’être corrigés pour devenir des adultes convenables. Des proverbes populaires comme «  qui aime bien châtie bien  » recommandaient aux parents de les battre. Même le vocabulaire qui les désignait était souvent insultant : braillard, chiard, pisseuse, merdeux, morpion, morveux…
Non seulement la psychanalyse n’a pas rompu avec cette très longue tradition, mais, par sa théorie des pulsions, elle l’a aggravée.
L’enseignement de cette théorie se justifie d’autant moins que les résultats de la recherche sur le développement de l’enfant au cours des dernières décennies sont en contradiction radicale avec cette vision.
Ils nous apprennent en effet que l’enfant, loin d’être un «  pervers polymorphe  » est doté de capacités innées qui le prédisposent remarquablement à la vie sociale.
Ces capacités sociales, ce sont l’attachement, fondement du lien social (John Bowlby, 1969), l’imitation, source de tous les apprentissages (Andrew Meltzoff, 1977), l’empathie, capacité à éprouver ce que ressentent les autres (Jean Decety, années 2000), l’altruisme, que l’enfant manifeste très tôt par des gestes d’entraide (Tomasello et Warneken, 2006), le sens de la justice (Katrin Riedl, 2015) et d’autres encore qui montrent que l’enfant est un être éminemment social.

Apprendre à résoudre les conflits

Ces capacités n’ont rien d’étonnant. Nous sommes depuis des centaines de milliers d’années, et même de millions d’années si l’on prend en compte les espèces humaines antérieures à l’Homo sapiens, des primates sociaux dont le cerveau a été modelé par l’évolution, câblé si l’on peut dire, pour la vie sociale. Les enfants naissent équipés d’une véritable boussole intérieure qui les prédispose à vivre avec leurs semblables, sinon sans conflits, du moins avec une attitude ouverte à la relation et même avec des capacités à dépasser les conflits.
Pour que ses capacités potentielles deviennent effectives, l’enfant a besoin de deux choses. D’abord que son entourage et en premier lieu ses parents, le reconnaissent sans aucune ambiguïté comme une personne humaine digne d’un amour inconditionnel et le lui manifestent par leur tendresse, leur attention, la satisfaction de tous ses besoins physiques, affectifs et intellectuels. Et ensuite qu’ils lui apprennent par leur propre exemple, dans leur comportement avec lui et avec les autres adultes, comment on est censé mettre en application dans la vie adulte les capacités potentielles dont il est porteur. L’exemple étant de très loin la méthode pédagogique la plus efficace, ce dont l’enfant a besoin, plutôt que de punitions, c’est de bons modèles.
Un domaine où l’enfant a particulièrement besoin de l’exemple des adultes est celui de la résolution des conflits.
Comment fait-on entre adultes, entre personnes qui s’aiment, quand on est humains, vraiment humains, pour sortir d’une situation de conflit ? Les multiples petits conflits de la vie quotidienne entre enfants et parents sont autant d’occasions de faire cet apprentissage.
C’est par rapport à ce besoin essentiel de l’enfant que le time out montre le mieux son insuffisance. Quelle leçon l’enfant peut-il tirer pour les futures situations de conflit où il pourra se trouver de cette pratique ? Dans un conflit entre adultes, la meilleure attitude, (à condition toutefois d’être le plus fort !), est-elle de mettre le plus faible à la porte en l’invitant à aller réfléchir ? Non, on s’écoute mutuellement, on essaie de comprendre l’autre, on essaie de chercher ensemble une solution pour que chacun soit aussi satisfait que possible. Le time out n’est au mieux qu’un un pis-aller quand on est, ce qui peut arriver, complètement épuisé et à bout d’imagination, mais sûrement pas comme une solution «  idéale  » proclamée comme très recommandable par des professionnels de l’enfance.
Il faut ajouter que les conflits avec les enfants sont souvent répétitifs et se produisent pour des raisons facilement identifiables. Ils sont donc prévisibles et il n’est pas très difficile de les anticiper pour pouvoir soit les éviter, soit les résoudre au mieux avec un peu de réflexion.
D’autant qu’ils prennent souvent leur origine non pas dans les «  pulsions  » des enfants, mais dans les conditions spatiales et temporelles contraignantes de la vie moderne. Ne faisons pas retomber sur les enfants, en les punissant, la responsabilité d’un mode de vie entièrement artificiel qui les fait vivre à un rythme qui n’est pas le leur.
L’afflux de parents en difficulté dans les cabinets des psychologues peut être interprété autrement que ne le font les adversaires de la parentalité positive. Ces parents appartiennent à une génération qui, majoritairement, a encore été élevée à coups de gifles et de fessées ou autres violences. Ils ne veulent pas reproduire ce mode d’éducation mais ils éprouvent des difficultés. Plutôt que de leur suggérer une punition humiliante, les psychologues feraient mieux de s’inspirer des mille et une propositions offertes par les ouvrages sur la parentalité positive et bienveillante qui sont aujourd’hui appliquées à la satisfaction d’un nombre toujours croissant de familles.


(1) A publié chez L’Harmattan en 2022 «  De l’enfant protégé à l’enfant corrigé. Comment l’humanité est devenue maltraitante  » cf L.S. 1331