N° 921 | Le 19 mars 2009 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
Aujourd’hui encore, le nom de Félix Guattari demeure soit largement méconnu soit seulement associé à celui du philosophe Gilles Deleuze. Certes ces deux là ont écrit ensemble quelques-uns des ouvrages les plus fondamentaux de la philosophie contemporaine, tels l’Anti-Œdipe et Mille Plateaux. Pour autant, l’activité intellectuelle et militante de Félix Guattari ne se résume pas à ce compagnonnage. De fait, et sans doute faut-il le rappeler ici, il fut longtemps au côté de Jean Oury l’un des principaux animateurs de la clinique Laborde ! De même, avec tant d’autres acteurs engagés, il fit de la lutte contre toutes les formes d’aliénation et d’enfermement le fil rouge d’une vie militante commencée à l’aube des auberges de jeunesse et terminée au crépuscule des révolutions marxistes. La revue Multitudes, laquelle fait peau neuve avec ce numéro, consacre sa dernière production à l’effet-Guattari…
Et autant dire au lecteur que, avec cet ouvrage, il tient entre ses mains un objet absolument génial et, qui plus est, soigné dans sa fabrication et ses illustrations ; toutefois, et autant en être averti d’emblée, la lecture de quelques-uns des textes de ce très beau dossier est loin d’être aisée. Comme si, au fond, ce fils de Lacan qui assassina si symboliquement son père par la publication de l’Anti-Œdipe se riait encore « de l’importance du non-sens dans notre recherche de sens permanente » (p.105). Et toute une bande de chercheurs, gais lurons dans l’âme et contributeurs de ce dossier spécial, reprennent les concepts clefs de Guattari qui, de la déterritorialisation à l’apogée moléculaire et de la schizoanalyse au désir machinant, font exploser les cadres de la pensée ordinaire.
L’approche de la complexité qu’une opinion courante attribue au seul Edgar Morin mais qui est en réalité une exigence des temps présents, nécessite une approche conceptuelle intégrant le mouvement à la pensée même et aux conditions de son émergence. Rien ne reste jamais en place, ni les mots ni leur sens, dans le système de Félix Guattari. Tout bouge et « tout dense » à la façon d’un cavalier schizo-analytique sur le plateau du jeu d’échecs politique pour reprendre le titre génial d’Anne Sauvagnargues. Certes, il faut souvent s’y reprendre à plusieurs fois pour suivre le ballet de cette pensée frivole qui se moque des cases et qui se rit des paresseux se nourrissant de livres vite lus et aussi vite oubliés. Celui-là réclame de la patience et des allers et retours pour des lendemains heureux qui ne se contentent pas de lâches compromis ; avec au bout du compte, l’assurance de prendre un pied de lecture par le pied de nez fait aux pouvoirs délirants de tous les saigneurs de la terre. En clair, il s’agit là d’une gifle venue d’outre-tombe afin de biaiser les chapes de plomb de la pensée institutionnelle.
Bref, un délice anti-réactionnaire !
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