N° 1273 | Le 12 mai 2020 | Par Benoît Magras, intervenant auprès de jeunes en décrochage scolaire | Espace du lecteur (accès libre)
L’enfant pauvre, celui qui guette, celui qui quête, en attente de nourritures, de nourritures affectives : « c’est bien », « c’est beau », « c’est bon », « tu es fort », « je t’aime », celui qui attend qu’on le prenne dans ses bras, qu’on le touche. Oui, l’enfant pauvre guette, attend, il est vulnérable et dépendant et il n’y a que l’enfant devenu adulte qui peut le combler. Lui ne sait, ne peut s’auto satisfaire, s’auto aimer, s’auto alimenter. C’est le développement précoce de l’enfant et les premières années de la vie.
La quête de l’enfant pauvre c’est cet adulte qui tend la main pour qu’on la prenne et c’est celui qui prend les mains tendues pour être aimé et reconnu. Ce n’est pas encore l’amour inconditionnel. C’est la tentative de réparation d’un amour blessé, d’un enfant blessé. Si j’aime, je suis aimable, aimé, admiré, puisque c’est bien, c’est beau, d’aimer. Être bon, gentil, serviable. Si je fais cela, je suis aimé. Ouf ! L’enfant ne se sent pas aimé pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il fait. Il n’est pas reconnu en tant qu’être humain mais en tant que faire valoir d’être humain. Il peut venir combler tel ou tel manque du couple parental ou de tel adulte pour satisfaire leur désir. Désirer un enfant, aimer un enfant, c’est bien différent.
L’enfant pauvre n’est pas stable. Il est en quête et sur le qui-vive. Il guette le moindre signe d’amour et peut être avide comme un mendiant. D’ailleurs, il est mal à l’aise avec eux : les mendiants, les sans-abris. De quoi ont-ils besoin que je ne puisse donner ? De l’amour inconditionnel ? Alors il croit qu’il n’est pas aimé et qu’il n’est pas aimable. Ses relations échouent. Plus il est aimé, admiré, moins il est comblé. Toujours plus est sa devise, archaïque. L’adulte peut pourtant l’aimer, lui le mal aimé, le pas aimé. L’adulte peut le prendre dans ses bras. Pardonner. Pardonner de ne pas avoir été aimé tel quel, pour rien, juste comme ça. Pour le plaisir. Pardonner de pouvoir aimer sans condition, accueillir sans condition. Pardonner pour guérir, grandir et se libérer.
L’enfant pauvre aide d’autres enfants pauvres en quête d’amour, car ils sont différents. Sensibles, handicapés, délinquants, voleurs, bagarreurs…
L’enfant pauvre est sensible aux justes causes car il y reconnaît les signes de sa propre misère affective. La misère c’est la misère.
L’enfant pauvre désire être aimé, alors il aime et parfois se sacrifie. Avec le temps, il s’aime aussi, il apprend à s’aimer et à semer des graines d’amour, de joie et de bonheur dans le cœur des gens.
L’enfant pauvre pleure parfois en silence car en public ça ne se fait pas. Parfois il se cache pour pleurer car il a honte de lui et de ses émotions, surtout si c’est un garçon. Il est en quête de qui le comprendra vraiment. Qui d’autre que lui est comme lui ?
L’enfant pauvre c’est ma misère et c’est aussi la vôtre. C’est là où la richesse peut advenir, dans la pauvreté d’un cœur blessé, dépouillé, vulnérable et battant. Conscient.
L’enfant pauvre est aussi un vide, une absence. Celle d’un père, d’une mère, d’un frère, d’une sœur, d’un pays, d’un continent, d’un ami. C’est la solitude et le carême des caresses et des câlins.
L’enfant pauvre c’est le désert comme paysage. Une terre aride et sèche où l’eau manque. La source parfois est un parent, un proche, une personne croisée sur le chemin. La source ça peut être une substance, un toxique, une addiction, un oubli, une soirée, une errance, un travail, un Dieu. La source est toujours un refuge, son refuge. Cette quête toujours est une errance. Un manque de plénitude. Souvent, il deviendra travailleur social, médecin, thérapeute, car en croyant guérir les autres c’est lui-même qu’il souhaite guérir. C’est pourquoi sa quête est un voyage, un chemin dont la destination est l’amour, véritable, authentique, libre et paisible. Cette quête, c’est à chaque enfant pauvre en nous de l’amorcer et à chaque adulte en nous de l’entre prendre, dans nos bras. Avec bienveillance, tendresse et sincérité. Pour que guérisse en cet enfant les plus vilaines blessures psycho affectives et les plus profonds mystères de la vie et de l’amour.
Alors si vous en croisez un, souriez-lui, demandez-lui comment il va, juste ça c’est le reconnaître, c’est le voir en être humain, c’est sain, c’est simple, c’est humble et tendre. Juste ça, rien que ça, c’est déjà tout. Cela sauve des vies.