N° 1150 | Le 30 octobre 2014 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’envers du décor • Brève histoire d’une directrice de maison d’enfants
Frédérique Roux et Olivier Chatanay
Voilà un document rare qui intéressera le lecteur curieux de connaître ce qui se passe côté cour, derrière le rideau. S’il est bien un registre particulièrement respecté par les cadres en général -et les membres des directions en particulier- dans le secteur médico-socio-éducatif comme ailleurs, c’est celui de la loyauté envers leur employeur et la discrétion sur tout ce qu’ils peuvent connaître des turpitudes et autres dysfonctionnements, durant leur fonction. Rien ne doit transparaître, le linge sale devant se laver en interne, en petit comité, sans que ni les tutelles, ni les salariés n’en sachent rien. Cette culture du secret confine parfois à l’omerta. Frédérique Roux et Olivier Chatanay ont certes choisi de rompre avec cette règle intangible. Mais, c’est plutôt en faisant un pas de côté. Car ici, pas de règlement de comptes, ni de dénonciation de telle institution ou de tel conseil d’administration.
Non, juste un roman se situant au sein d’une maison d’enfants à caractère social dans lequel le personnage principal, Mathilde Vergeoise, prend le poste de directrice. Ce que nous découvrons, pas à pas, c’est ce qu’elle va y connaître et y vivre. C’est donc bien là une fiction. Mais les faits rapportés sont brossés avec un tel naturalisme qu’on est vite convaincu qu’on a plus à faire à une description réaliste qu’à une fable née de l’imaginaire facétieux d’un romancier. Cette chronique brûle de rapporter les détails d’un récit riche en rebondissements. Ce serait le déflorer. Il suffit d’évoquer la confrontation à un conseil d’administration et à son président tyrannique, ainsi qu’à une institution renfermée sur elle-même ; les relations crispées avec certaines personnalités inscrites depuis des décennies dans la routine de l’établissement et qui freinent toute évolution ; le décalage entre la réalité du terrain et les représentations que peuvent en avoir ceux qui en sont éloignés ; ou encore l’opposition entre les registres de l’efficacité gestionnaire et la pertinence éducative.
La présentation du fonctionnement quotidien possible d’une maison d’enfants, de ses moments les plus conviviaux comme de ses crises, alterne avec des portraits emplis de tendresse ou de vitriol. Le tout dans une écriture fluide et limpide dont les enchaînements garantissent le rythme et l’intensité attendu. Cette histoire édifiante fera sans aucun doute grincer quelques dents. Elle fera réagir d’autres lecteurs : « Heureusement, ici, ça ne se passe pas comme ça ». Elle en réjouira secrètement d’autres encore, qui établiront des parallèles avec leur vécu, sans jamais oser l’avouer publiquement. Elle permettra enfin à tout lecteur impliqué ou non dans ce type d’établissements de comprendre le dessous des cartes de certains dysfonctionnements qui pour n’être pas forcément représentatifs n’en existent pas moins.
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