N° 1000-1001 | Le 13 janvier 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Si le lecteur s’est demandé un jour ce qui peut bien se passer dans ces fameux et énigmatiques « séjours de rupture », voilà de quoi satisfaire sa légitime curiosité. Le carnet de voyage de Thierry Trontin nous propose le récit de ses pérégrinations avec des jeunes en détresse qui privilégient les passages à l’acte, comme autant d’expressions de leur mal-être et de leur souffrance.
Mais pourquoi L’esquisse de la suture ? Plus que toute autre activité engagée dans le secteur de l’éducation spécialisée, ces dispositifs justifient que l’on file la métaphore. Esquisse : le Robert nous explique qu’il s’agit d’une « réunion, à l’aide de fils, de parties divisées (lèvres d’une plaie, extrémités d’un tendon coupé ». La coupure entre l’adolescent et son entourage, sa famille et la société est béante. Elle le fait d’autant plus souffrir que chacune de ses transgressions réactive son tourment jusqu’au plus profond de son âme, comme un couteau que l’on remue dans la plaie. Et il faut bien un tel acte de réparation quasiment chirurgical pour rétablir la relation cassée par la tromperie, la trahison et le mensonge.
Autre définition du terme esquisse : « Première forme d’un dessin et par analogie d’une statue, d’une œuvre d’architecture, qui sert de guide à l’artiste quand il passe à l’exécution de l’œuvre définitive. » Ici, l’artiste, c’est l’enfant. Son œuvre, c’est la destinée qu’il va construire. Les bouts de vie, qu’il a tentés jusque-là, n’ont guère été concluants. Grâce à la suture, il expérimente un autre rapport au monde. À lui, à présent, d’en faire quelque chose de pérenne. Il lui revient d’avoir à transformer l’essai, en s’appuyant sur les professionnels qui sont prêts à continuer à l’aider. C’est un Djamel qui modifie radicalement son attitude au fur et à mesure de la marche qu’il accomplit en montagne. C’est un Pablo qui réussit à atteindre affamé et épuisé sa destination, après avoir traversé une forêt dense brouillant tous ses repères. C’est un Jacques, insomniaque notoire, qui s’endort pour la première fois depuis longtemps, apaisé et serein après avoir goûté l’air, le vent, la pluie, l’odeur de la tourbe, la résine de sapin, la fumée du bois vert.
Tous n’y arriveront pas. Mais, en la matière, notre profession a bien une obligation de moyens et non de résultats. L’éducateur voyageur qui participe à ces séjours vit pleinement son engagement, passant des espoirs aux déceptions, de la joie à la colère, des convictions aux doutes. Ce que décrit Thierry Trontin nous fait rêver et vivre par procuration des aventures à la fois peu communes et bien singulières. On ne sort pas indemne de cette lecture, partagé entre l’admiration et une certaine envie. Mais, après tout, si cela devait provoquer quelque imitation, l’auteur ne pourrait que s’en réjouir.
Dans le même numéro
Critiques de livres