Le 4 septembre 2003 | Patrick Méheust | Critiques de livres (accès libre)
C’est à une démarche ambitieuse que les deux auteurs de cet ouvrage invitent les travailleurs sociaux. Il s’agit de tenter de sortir le travail social du consensus « béat » dans lequel il se trouve enfermé. En effet, la recherche d’une adéquation entre une « offre » et une « demande » sociales ou encore la proclamation d’une nécessaire technicité professionnelle ancrée dans le pragmatique produisent surtout une forme d’auto légitimation des pratiques et méthodes. L’obstacle majeur à surmonter ici, c’est bien de résister à la tentation de l’ethnocentrisme ordinaire qui imprègne profondément les manières de faire et de penser l’action sociale. Par « ethnocentrisme », il faut entendre la « projection par les travailleurs sociaux de leur propre univers social de référence sur celui des populations qu’ils prennent en charge » selon les termes des auteurs. Ce phénomène aboutit à réduire l’Autre à un usager du service social, saisi uniquement dans le cadre limité de cette relation.
Il s’agit également de ne plus se contenter des emprunts sommaires aux disciplines des sciences humaines et de bousculer la logique atomisante des dispositifs de prise en charge pour accéder à une véritable visée scientifique susceptible de produire un savoir sur l’homme dégagé des artifices spontanés trop souvent employés au quotidien. Autrement dit, le travail social doit s’efforcer de « fonder anthropologiquement son intervention par une confrontation permanente entre la façon dont il appréhende la réalité sociale qu’il se donne pour tâche de traiter et un modèle explicatif susceptible d’éclairer les diverses modalités de la raison humaine » ? Partant du principe que notre rapport à l’autre est toujours fondé sur un double mouvement où à la fois on classe l’autre tout en se classant soi-même par rapport à lui (en repérant en quoi cet autre nous est semblable mais aussi différent), il est particulièrement important pour le travail social de prendre conscience que le « social » se construit sur une tentative permanente de réunifier ce qui auparavant a été divisé.
D’où, comme l’indiquent les auteurs, « cette recherche continuelle de la communauté avec ses diverses modulations d’une sociabilité possible [?] et cette faculté simultanée à générer la différence, l’exclusion, le conflit ». Une approche qui s’inscrit dans une authentique visée scientifique a ainsi pour objectif d’introduire en permanence un questionnement salutaire sur la façon dont les faits sont appréhendés et ordonnés. Proposition séduisante, assurément, mais l’urgence du terrain, malheureusement, laisse assez peu de temps pour s’adonner à ce type d’exercice.