N° 1096 | Le 7 mars 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

L’individu qui vient… après le libéralisme

Dany-Robert Dufour


éd. Denoël, 2011 (385 p. ; 22 €) | Commander ce livre

Thème : Sociologie

Si notre époque est effectivement égoïste, en aucun cas elle est individualiste : telle est la thèse centrale de Dany-Robert Dufour. Pour comprendre cette affirmation, au demeurant étonnante, il faut suivre le fil de son raisonnement. Toutes les civilisations humaines, affirme-t-il, ont toujours bâti leur existence sur des principes inspirés de discours fondateurs. Pendant deux milles ans, l’homme a vécu dans la promesse d’un salut inspiré par le récit monothéiste. Puis sont advenus d’autres archétypes : le peuple souverain, la race supérieure, le prolétariat triomphant.

Aujourd’hui s’impose un récit libéral prétendant que ce serait en étant avide, égoïste et dépensier pour son propre plaisir que l’on pourrait le mieux contribuer à la prospérité générale. Cette vision prend ses racines au XVIIIe siècle dans la confrontation entre deux philosophes : l’allemand Emmanuel Kant et l’anglais Adam Smith. Le premier, se fondant sur la sagesse grecque, en appelle à la domestication tant de l’égoïsme que des passions et à la prise en compte de l’autre. Le second, prônant une libération des pulsions, s’appuie sur l’utilitarisme : maximiser les plaisirs et minimiser les peines, avec pour seul objectif la satisfaction personnelle.

Et c’est bien le second qui a gagné, faisant le lit des valeurs basées sur la toute-puissance de la marchandise et des échanges fonctionnels. Le sujet véritable est celui qui pense par lui-même, en se rendant maître de ses pulsions et qui réussit à abdiquer une partie de sa puissance, au profit du bien commun. L’authentique individualisme ne peut donc être qu’altruiste, en opposition à cet égocentrisme assumé par le libéralisme. Dany-Robert Dufour se défend de prôner quelque retour en arrière que ce soit : ce n’est pas parce qu’on critique ce qui est, que l’on veut, pour autant, revenir à ce qui n’est plus. Il reconnaît volontiers la valeur émancipatrice de la libération à l’égard d’un patriarcat inhibiteur.

Mais pour déplorer tout autant l’instrumentalisation de l’autre au profit de sa propre jouissance, élevé en modèle de vertu. Il revendique une position à la fois révolutionnaire – qui permet de se débarrasser des commandements qui assujettissent l’autre – et à la fois conservatoire quand il s’agit de transcender ses intérêts pour prendre soin de son milieu de vie tant naturel que culturel. Il illustre son propos en étudiant d’une manière minutieuse et critique les revendications transgenres auxquelles il oppose l’indisponibilité des corps et celles des défenseurs des droits des animaux auxquels il oppose l’exception humaine. S’ensuivent trente propositions susceptibles de refonder un individualisme généreux, parce qu’ouvert sur autrui.


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