N° 1104 | Le 2 mai 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le travail social perd petit à petit de sa légitimité face à l’envahissement des références à l’entreprise et à la concurrence élevées au rang de modèles de gestion, mais aussi face au recul des politiques de solidarité rabotées à l’aune du pragmatisme comptable normatif. L’action sociale serait devenue une insupportable source de dépenses dépassant les capacités financières de notre société et provoquant la déresponsabilisation et l’assistanat des plus fragiles. Elle se trouve prise en otage entre les standards d’efficacité, d’efficience et de performance imposés par les financeurs et sa transformation en guichet où le client usager s’adresserait, à l’instar d’une entreprise de services. Michel Chauvière dénonce avec force ces dérives auxquels nous assistons depuis quelques années.
À juste raison, tant le sens du travail social se trouve réduit par la pensée numérique et algorithmique : conversion des informations venant du terrain en données chiffrées référées à une liste préétablie de valeurs et d’échantillons ; tyrannie des identifiants, des onglets et des tiroirs dans lesquels chaque action se doit d’être cataloguée ; mise en relation de toute dépense avec une ressource, dans une volonté obsessionnelle de traçabilité.
Sans oublier la mise en compétition des opérateurs qui doivent dorénavant se soumettre à un appel d’offres qu’ils ne peuvent espérer obtenir qu’au prix d’une réduction du coût de leur action, au détriment de sa qualité. Le service public a toujours été garant de la cohésion sociale et de l’État de droit, en privilégiant l’amont sur l’aval, la nécessité sur le pragmatisme, le moyen et long termes sur le court terme, la légitimité sur l’efficacité et la satisfaction immédiate, la réponse en profondeur sur la superficialité des situations, l’intérêt général sur l’audimat, le droit commun sur les droits individuels et subjectifs.
L’action sociale a toujours été fondée sur la non lucrativité, ne proposant pas un service qui serait rendu, vendu ou offert, mais un droit partie prenante d’un pacte social et d’une chaîne de solidarité. Le libéralisme promeut l’individu entrepreneur de lui-même et cherche à transformer le service public en service à un public assimilé à une clientèle appelée à calculer la balance des avantages et des inconvénients de chaque offre. Le paradigme consumériste oppose l’usager à l’ayant-droit, la prestation à l’allocation, l’individualisation à l’universel. Le travail social est directement menacé, les capacités individuelles et collectives des professionnels étant remplacées par des programmes négociés en amont, avec clauses contractuelles de résultats et normes de bonnes pratiques. La résistance s’impose face à ce détricotage insidieux mais résolu.
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