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• TERRAIN - Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
La question du secret professionnel avait déjà fait l’objet d’une polémique autour des violences conjugales. La loi du 30 juillet 2020, adoptée dans la prolongation du « Grenelle » consacré à cette question avait accouché d’une souris. La possibilité donnée aux médecins de lever le secret médical, en cas de danger de mort, était en effet déjà prévue par la législation (voire l’explication en fin de ce billet). La question s’est de nouveau posée après la révélation des 330 000 victimes de pédocriminalité dans l’Eglise. Cette fois-ci, c’est le « secret de la confession » qui a été accusé de couvrir les violeurs. L’occasion de revenir sur un « secret professionnel » trop souvent incompris.
L’article 226-13 du Code pénal fait obligation à certaines catégories de professionnels d’avoir à se taire sur toute information « à caractère secret » dont ils auraient connaissance. Le non-respect de cette contrainte est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Les personnes concernées le sont au titre de leur état (ministres du culte), de leur profession (médecin et paramédicaux, avocat et notaire etc…, mais aussi, seule profession du social concernée à ce titre, les assistants de service social) ou de leur fonction (travaillant auprès d’un public handicapé, en protection de l’enfance etc.). Quelle est la raison d’être de cette notion dont l’origine remonte à Hippocrate (500 av JC) et qui a été officialisée pour la première fois dans notre législation en 1810 et réaffirmée par le Code pénal actualisé en 1994 ? Parce qu’il faut permettre à tout un chacun de pouvoir se confier, sans crainte que son état de santé ou ses difficultés personnelles ou familiales ne soient divulgués à des tiers.
Dans certaines circonstances, toutefois, la révélation de ce secret n’entrainera pas de sanction pénale. C’est le cas de la dénonciation de la violence faite à une personne vulnérable. Mais, à chaque fois, il est laissé au professionnel tenu au secret le choix de révéler ou non. C’est aussi le cas de la dénonciation d’un crime auquel le professionnel tenu au secret n’est pas contraint, comme l’est le simple citoyen (article 434-1 du code pénal).
Ainsi, il pourra prendre la décision de ne pas dénoncer ni un pédocriminel venu lui révéler les actes qu’il a commis, ni les violences subies par une personne vulnérable. Cette attitude peut sembler, au premier abord, choquante, voire incompréhensible. Comment l’expliquer ?
D’abord, parce que de telles révélations ne lui parviendraient que bien rarement s’il était établi qu’elles seraient automatiquement transmises à la justice.
Ensuite, parce qu’il faut toujours prendre en compte la temporalité des victimes pas toujours prêtes à ce que les agressions, qu’elles subissent, soient dénoncées. En se précipitant, le risque c’est qu’elles se referment, faisant place au déni ou à la rétractation. Tout au contraire, la préparation de cette démarche donne le temps de les en convaincre. Car, une fois la dénonciation transmise, le professionnel n’est pas toujours en capacité de garantir ni la sécurité de la victime, ni l’aider à se détacher de l’emprise qu’elle subit. A vouloir aller trop vite, on peut tout bloquer.
Encore, parce qu’après avoir été traitée par l’agresseur comme réceptacle passif de ses violences, la victime ne doit pas être réduite à l’état d’objet d’un quelconque sauveur, subissant tout aussi passivement des démarches effectuées sans elle, voire contre son avis immédiat. Travailler à ce qu’elle se réapproprie une posture d’actrice, c’est commencer à la rétablir dans sa dignité et son humanité. Et cela peut prendre du temps.
Enfin (mais la liste n’est pas ici exhaustive), parce que le professionnel ne se contentera jamais d’écouter passivement. Il n’aura de cesse que de convaincre la victime de déposer plainte et l’auteur de se rendre au commissariat ou à la gendarmerie pour se dénoncer, en proposant même à l’une et l’autre de les y accompagner.
En renonçant au secret professionnel, on se priverait donc de toutes ces possibilités, faisant plus de torts, que de bien aux victimes.
Mais, s’interrogera alors le néophyte, un travailleur social pourrait laisser une personne en danger de mort sans aucune protection ? Pas du tout. Il existe une obligation absolue qui s’impose à tout citoyen qu’il soit un professionnel tenu au secret professionnel ou non : c’est l’obligation de venir en aide à une personne en péril. Si le refus de signaler aux autorités une menace « contre l’intégrité corporelle de la personne » entraîne un dommage, une telle abstention est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende (Article 223-6 du code pénal). Et cette peine s’appliquera alors à tout le monde, sans aucune exception.
Si un professionnel tenu au secret évalue qu’il y a plus de bénéfices pour une victime à ne pas révéler aux autorités ce qu’elle subit, il doit pouvoir continuer à agir ainsi. Mais, s’il s’avère que son choix n’a pas permis d’éviter de graves conséquences pour celle-ci, il pourra être amené à en rendre compte devant un tribunal.
Certains travailleurs sociaux préfèrent ouvrir le parapluie pour se protéger eux-mêmes, sans mesurer les conséquences dommageables pour la victime.
D’autres prennent ce risque, en connaissance de cause. Et leur décision peut s’avérer ou non pertinente.
C’est là parier avec légèreté sur la vie d’autrui, répliqueront les détracteurs.
Pourtant, chacune de ces options implique des effets potentiels dans un sens positif, comme dans l’autre bien plus négatif. Et si l’on parle volontiers des effets désastreux des situations où la stricte application du secret professionnel s’est avérée préjudiciable, on ne parle jamais de celles où ce choix a permis d’accompagner la victime à son rythme, en lui permettant au final d’échapper à ce qu’elle vivait jusque-là
Grave responsabilité pour les professionnels qui portent alors sur leurs épaules un avenir dont le scénario n’est écrit nulle part !
Jacques Trémintin